Marine Le Pen et Charlie Hebdo : une étrange convergence sur le voile et la kippa ?
Marine Le Pen veut interdire voile et kippa dans l’espace public, ce qui déclenché protestations et condamnations. Deux jours auparavant, « Charlie Hebdo », dans son numéro controversé, mettait à la une un musulman et un juif « intouchables ». Convergence ou coïncidence ?
Pourquoi ceux-là encore, d’un coup mis dans le même sac ? Pourquoi ceux-là encore, considérés comme des problèmes, des questions ? Pourquoi encore et toujours ceux-là ? Et pourquoi ceux-là, les mêmes encore et toujours, se sont-ils retrouvés à la une du fameux numéro de "Charlie Hebdo" de cette semaine, présentés là aussi, là encore, comme des problèmes, des "intouchables" que l’on ne peut attaquer ni moquer ?
Une drôle d’interview
En elle-même, la mécanique de l’interview de Marine Le Pen par le "Le Monde" est stupéfiante. Qui a écouté naître la polémique à la radio a entendu "Marine Le Pen veut interdire le port du voile et de la kippa dans l’espace public", or, la lecture ultérieure de ses propos montre que ce n’est pas de manière aussi fluide et naturelle que la présidente du FN a précisé cette position dans l’entretien accordé au quotidien. Ce sont les journalistes qui l’y ont amenée. Extrait :
"’Le Monde’ : Comment définissez-vous qu’un voile est religieux ou pas ? Cela pose un problème d’application de la loi…
– MLP : C’est interdit. Le voile est interdit. C’est clair ! On est capable de faire la différence entre un voile religieux et un voile qui ne l’est pas.
– ‘Le Monde’ : Cette interdiction vaudrait pour tous les signes ostentatoires ?
– MLP : Qu’appelez-vous des signes ostentatoires ?
– ‘Le Monde’ : La kippa par exemple…
– MLP : Il est évident que si l’on supprime le voile, on supprime la kippa dans l’espace public.
– ‘Le Monde’ : Doit-on mener une action spécifique dans les banlieues ?"
Ce sont bien les journalistes du "Monde" qui amènent Marine Le Pen (prise en flagrant délit de pleine improvisation d’ailleurs) sur le terrain de la kippa, et qui, une fois la réponse obtenue, en restent là sur la question du port de signes religieux ostentatoires dans "l’espace public".
Et le lecteur de bonne foi de s’interroger : pourquoi ne pas lui avoir posé la même question sur le port de signes ostentatoires liés à la religion chrétienne ? Pourquoi ? Et la croix ? Et la soutane ? Et les cornettes ? Pourquoi seulement évoquer les signes religieux portés par des croyants musulmans et juifs ?
Le débat sur la liberté d’expression en cache un autre
Constatons ensemble l’évidence : il y a une semaine quelques dizaines d’excités fanatiques manifestaient à proximité des Champs-Élysées, se revendiquant d’une branche de l’islam qui est à cette religion ce que les extrémistes catholiques sont au catholicisme et cinq jours plus tard, tous les musulmans et tous les juifs, à mille lieux de tout extrémisme, sont ciblés par Marine Le Pen dans "le Monde", les questions des journalistes eux-mêmes aidant objectivement la présidente du FN à lancer un débat désintégrateur de l’héritage de 1789 comme sa famille politique aime à le faire depuis deux siècles.
Dans l’entre deux, s’est passé ce qui s’est passé avec "Charlie hebdo" et ses caricatures de Mahomet. Le jeu en valait-il la chandelle ? Probablement pas. Mais ce nécessaire débat sur l’opportunité de se livrer à cette provocation dans un contexte trouble a occulté toute question, tout débat sur la couverture elle-même du journal satirique. Or, qu’y voit-on ?
Si l’on en croit les déclarations des responsables de "Charlie Hebdo", cette couverture, et les caricatures des pages intérieures, constituaient une riposte, un défi, une affirmation de la liberté d’expression face aux manifestations des extrémistes musulmans qui s’en étaient pris à des intérêts américains, en divers pays, suite à la diffusion sur Internet d’un film que ces contestataires jugeaient offensants.
Le problème, et encore une fois, le débat sur la liberté d’expression a occulté tout débat sur le fond éditorial du message délivré par "Charlie" dans cette affaire, c’est l’incroyable raccourci de cette couverture, raccourci qui débouche sur la mise en cause non seulement de tous les musulmans mais aussi des juifs, sans que les catholiques, pourtant cible traditionnelle de "Charlie", soient mis en cause.
Qui contemple cette Une est contraint d’établir l’équation suivante : intégriste=musulman, musulman=mollah, mollah=rabbin, rabbin=juif, donc, in fine, juif=intégriste. CQFD.
"Charlie" et Marine Le Pen, même combat ?
Posons maintenant le débat qui dérange : si "Charlie Hebdo" pratique ce raccourci, cet amalgame, pourquoi Marine Le Pen s’en priverait-elle, puisque ses réputés pires ennemis tirent les mêmes conclusions qu’elle sur le dos des mêmes personnes ? Ce phénomène, cette folie authentiquement française, ce déjà-vu national qui a déjà causé tant de mal par le passé, sont sidérants.
Certains Français sont étonnants, qui, pour des raisons particulières, chacun étant mué par sa logique, son système de pensée, en viennent à mettre en cause,les musulmans et les juifs dans le même élan, par amalgame, parce que quelques dizaines d’excités se réclamant de l’islam, donc du religieux, ont provoqué quelques troubles sur les Champs-Élysées, quelques jours auparavant, écume d’un mouvement mondial pas si massif que cela au demeurant.
Certains Français sont étonnants, qui, après avoir inclus tous les musulmans dans un débat qui les concernent a minima, y incluent aussi les juifs, initialement à mille années lumières de tout cela, et omettent d’y inclure catholiques et/ou protestants. Force d’un inconscient national ?
Certains Français sont étonnants, qu’ils soient rouges, qu’ils soient bruns ou autre, qui affirment se combattre et se détester entre eux et qui, pourtant, se retrouvent sur une ligne objectivement commune dès que l’on parle fait religieux impliquant voile islamique ou kippa.
Certains Français font peur qui (et allons-y pour les grands mots, tant pis) n’ont tiré aucune leçon de l’histoire et jouent avec le feu, au risque déclencher le pire. Comme on dit de nos jours : c’est n’importe quoi.