Le coup de maître d’une vive intensité s’est passé en trois temps. Un journaliste qui emmène John Kerry sur le terrain de la cession conditionnelle des armes chimiques syriennes. Une diplomatie russe à l’affût de la moindre brèche. Et un régime syrien aux abois qui s’accroche à la moindre corde pourvu que cela lui permette de gagner du temps et d’éviter le déluge de feu promis par une intervention militaire internationale, si brève soit-elle.
Cette nouvelle donne politique crée une nouvelle situation. D’abord pour le président Barak Obama. Elle intervient alors qu’il effectuait le sprint final pour convaincre son opinion de lui donner le feu vert d’intervenir militairement en Syrie. Au vue des grandes hésitations du Congrès américain, l’échec était au bout de cette logique. Avec cette inconfortable hypothèse : Obama obligé d’aller à la guerre contre la volonté du peuple américain. Et c’est la raison pour laquelle Obama a sauté sur l’occasion pour affirmer que si cette solution était sérieuse, il suspendrait le principe d’une frappe militaire. C’est ce que certains ont appelé la grande reculade du président américain.
Ensuite pour François Hollande, le plus va-t-en-guerre des Européens. Malmené depuis le départ par le revirement d’Obama, isolé au sein même de sa famille européenne, disputé jusqu’au sein de son propre parti, sans parler de l’acrimonie de la droite à son égard, le voilà condamné à avaler davantage de couleuvres. Si demain cette partition russe parvient à éteindre les démons de la guerre, François Hollande aura été malgré lui l’homme qui a fait prévaloir jusqu’à la dernière minute la guerre sur la solution politique. Ce qui est en soi un tournant aiguë de la diplomatie française de ces trois dernières décades.
Le troisième niveau de changement se situe au niveau des pays arabes, notamment ceux du Golfe qui ont mobilisé l’ensemble de leurs énergies pour faire tomber Bachar Al Assad par le feu occidental, comme l’ont été avant lui l’irakien Saddam Hussein et le libyen Mouamar Kadhafi. Dans leur grande partie d’échec avec la courant chiite iranien, les pétromonarchies sunnites du Golfe étaient disposées à tout pour faire tomber le régime de Damas, pièce maîtresse de Téhéran dans la région. Preuve de leur détermination, elles n’étaient dérangées en cela ni par leurs accointances avec des groupes proches d’Al Qaïda, ni par le risque d’allumer une guère confessionnelle aux conséquences imprévisibles.
Le dernier niveau de ce revirement touche les oppositions syriennes. Alors que certains groupes se voyaient déjà aux portes de Damas, à donner la touche finale à l’éradication du régime d’Assad, les voilà condamnés à freiner leurs ambitions dans l’attente d’une solution politique. La première réaction de leur leadership était d’inviter Américains et Français à ne pas se fier à la ruse d’Assad et à poursuivre le plan initial de casser le régime par voie aérienne. Cette d’initiative russe, acceptée par Damas et adoubée par Barak Obama dans ses récentes interviews, a de fortes chances d’avoir rebattu les cartes au sein de l’opposition armée syrienne.
La prochaine séquence politique de la crise syrienne résidera dans l’organisation de Genève II, le round de négociation entre pouvoir et oppositions sous l’égide internationale pour organiser la transition politique à Damas. Pour l’opposition syrienne diverse et éparse, les places à cette table de négociations sont chères et personne ne pourra affirmer qu’une fois un accord conclu, certains factions des plus radicales, avec des agendas autres que de faire tomber Bachar Al Assad, seraient prêts à déposer les armes.
En guise de lot de consolation politique, Barak Obama et François Hollande pourront toujours justifier leur revirement devants leurs opinions et leurs alliés en affirmant que sans avoir pris le risque de brandir la menace militaire, il n’était possible d’obliger le régime syrien d’accepter de livrer son arsenal chimique. Car un des précieux butins de guerre est de pouvoir contrôler cet arsenal chimique capable, s’il tombe entre de mauvaises mains de plonger la région dans une nuit de terreur sans fin.
Si le Congrès US confirme son opposition à l’intervention militaire contre la Syrie, Barak Obama devra une fière chandelle à Vladimir Poutine. Le russe a servi à l’américain, au bon moment, les ingrédients d’une belle sortie de crise. Obama pourra toujours affirmer à son opinion réticente à la guerre qu’il a été sensible à son message tout en brandissant un trophée de guerre, les armes chimiques de Bachar al Assad.
Ça ne serait sans doute pas le cas de François Hollande qui devra justifier ses zigzags et ses reculades devant une opinion déjà profondément hostile à cette guerre. Dans cette crise syrienne, François Hollande a de fortes chances d’y laisser de précieuses plumes. Sa crédibilité, son indépendance par rapport à l’allié américain. Pour François Hollande, le pire en politique est à venir. Ce que le Mali a fait, la crise syrienne peut le défaire.