Budget : les ménages français paient l’addition
Même si le gouvernement ne l’assume pas, le projet de loi de finances 2014 acte une baisse de 12 milliards d’euros de la fiscalité des entreprises et une hausse de 11 milliards pour les contribuables.
Paille. Le gouvernement tente en réalité de camoufler ce mouvement synchrone de baisse pour les uns et de hausse pour les autres, en ne communiquant que sur le solde entre les deux : un petit 0,15 point d’augmentation du taux de prélèvements obligatoires l’année prochaine, soit 3 milliards d’euros en plus. Et encore, sur cette somme, 2 milliards proviendraient de l’intensification de la lutte contre la fraude fiscale. Bref, ne resterait qu’un minuscule milliard d’euros. Une paille. Sauf que ce solde de 1 milliard représente bien la différence entre plusieurs milliards d’augmentation de la fiscalité d’un côté, et presque autant de baisse de l’autre. Et si ménages et entreprises bénéficient à la fois des hausses et des baisses, ce n’est pas du tout dans les mêmes proportions.
Les entreprises vont ainsi être taxées, dans le cadre de la création et de la suppression simultanée de plusieurs impôts (1), de 2 milliards d’euros en plus. Mais parallèlement, 4,2 milliards de mesures les concernant cette année vont s’éteindre ou voir leur rendement baisser en 2014. Résultat, l’un dans l’autre, elles vont bénéficier, à ce stade, d’une baisse de 2,2 milliards d’euros de leur pression fiscale.
Et la liste n’est pas terminée… Car il faut ajouter à ce premier ensemble le dispositif de crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) qui va conduire, l’année prochaine, à réduire de 10 milliards d’euros l’impôt sur les sociétés des entreprises, en fonction de leur masse salariale. Au finale, celles-ci vont donc bénéficier de 12 milliards d’euros de baisse de leur fiscalité. Et non pas subir une hausse, comme le dénonce le Medef.
Du côté des ménages, c’est une autre histoire. Au chapitre des hausses : la baisse du plafond du quotient familial (1 milliard), la suppression de la réduction d’impôt pour frais de scolarité (0,5 milliard), la fin de la défiscalisation des majorations de pensions des familles nombreuses (1,2 milliard), l’abrogation de la déduction fiscale de la part employeur finançant les complémentaires santé (1 milliard), la hausse des cotisations retraites (1 milliard) et l’augmentation des droits de mutations (1 milliard). En prenant en compte un demi-milliard d’allégements d’autres impôts, les ménages vont devoir payer 5 milliards d’impôts en plus en 2014. Et comme le gouvernement a décidé de leur faire prendre en charge une partie du financement du CICE des entreprises, ils connaîtront une hausse de deux des trois taux de TVA existant (de 7% à 10% pour le taux intermédiaire et de 19,6% à 20% pour le taux normal), pour un rendement global de 6 milliards d’euros. Soit, au total, une augmentation de 11 milliards pour les ménages l’année prochaine.
Diverses dispositions fiscales, dans un sens comme dans un autre, et pas forcément imputables à chacune des deux catégories, conduiront à un solde de 1 milliard de hausse du taux des prélèvements obligatoires. Mais au final, les entreprises connaîtront bien 12 milliards d’euros de baisse de leur pression fiscale, tandis que les ménages verront leurs impôts augmenter de 11 milliards.
Pari. Dans l’entourage du ministre de l’Economie, on ne conteste pas ce chiffrage global, mais on refuse «d’opposer ces deux catégories». Car «lorsqu’on baisse la fiscalité sur les facteurs de production, on soutient l’investissement, et donc l’emploi». Et comme «le CICE est calibré pour les salaires ne dépassant pas 2,5 fois le smic, c’est finalement le pouvoir d’achat des bas revenus qui en bénéficie». A voir. Car nul ne contrôlera strictement l’utilisation qui sera faite par les entreprises des marges octroyées par le CICE. Elles pourront tout aussi bien augmenter leurs bénéfices et donc les dividendes versés aux actionnaires. Plus inquiétant : une étude de l’Insee parue en juillet indiquait que 58% des employeurs estimaient souffrir «uniquement d’un problème de demande», contre 18,6% qui se plaignaient de salaires et de charges trop élevés.
Mais pour l’heure, le gouvernement a fait un pari qu’il défend pleinement, notamment dans son projet de loi de finances : celui d’une politique de l’offre. Sans cependant oser, du moins pour l’instant, l’assumer verbalement. Et donc politiquement.
(1) Suppression de l’IFA (0,75 milliard), mais taxation à 1 % de l’EBE (excédent brut d’exploitation, pour 2,5 milliards) et à 75% des rémunérations dépassant 1 million d’euros par an (0,25 milliard).