Tahar Ben Jelloun : lettre à Valérie Trierweiler
On disait la première dame forte et dure et rien ne lui a été épargné. Dans ce moment de désarroi et de curée publique, son ami Tahar Ben Jelloun lui écrit.
Je pense à vous en ce moment où votre vie intime, la vôtre et celle de votre compagnon, est sujet de curiosité malsaine, une espèce de cambriolage en plein jour où l’on saccage tout sans penser aux conséquences non seulement sur votre existence, mais aussi celle de vos enfants. La société de spectacle telle qu’elle a été annoncée par Guy Debord est dépassée, elle est devenue une société cannibale. On mange les gens. On les presse jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de jus et on les jette. On les broie et on en fait des petits fours juste avant le dîner, moment privilégié pour aller fouiller dans les secrets des uns et des autres. Les fameux "dîners en ville" sont des scènes de carnage diverses et variées.
Je pense à vous parce que je sais la douleur et la violence, je sais aussi l’attente et l’espoir. Une histoire d’amour est née entre vous et celui qui allait devenir président. Cette histoire, m’aviez-vous dit un jour à Brive, est belle parce qu’elle est forte. Vous m’aviez présenté François en me précisant : "C’est l’homme de ma vie." Le bonheur se lisait sur votre visage, avec cependant une ombre légère que j’appellerai "petite inquiétude", ce qui est normal quand on s’engage corps et âme dans une traversée du temps et de ses tempêtes. De ce côté-là, vous avez été gâtée : on ne vous a rien épargné, vous étiez dans la ligne de mire des médias et des politiques au point qu’un jour votre compagnon est interpellé par une citoyenne qui, sans raison, lui dit : "On n’aime pas la Valérie." Dur d’être ainsi désignée à la haine de manière gratuite, sans fondement, juste sur votre présence, votre visage, votre existence. Les gens sont durs et s’imaginent que la vie de ceux et celles qui sont sous les lumières de l’actualité ne mérite que des claques. Vous n’étiez protégée par rien. On pouvait cracher et insulter, comme ça, pour le plaisir des frustrés.
Le choc a dû être terrible
Vous êtes devenue une personnalité publique, c’est-à-dire que votre vie ne vous appartenait plus. En plus, ce qui va vous faire mal et surtout permettre aux autres de vous maltraiter, c’est que votre statut n’a jamais été défini. La responsabilité de votre homme est évidente. En fait qui êtes-vous et quel est votre rôle ? Vous êtes comme un personnage de théâtre en quête d’un rôle et surtout d’un auteur. Or votre compagnon refuse de céder sur un principe qui était certainement valable du temps où il n’occupait pas la plus haute fonction de l’État, mais qui est devenu étrange et surtout vous a mise dans des situations intenables. Vous m’aviez dit un jour que "le mariage, ce n’est pas tout" et que vous-même vous aviez divorcé. Mais là, il ne s’agit plus d’une simple relation entre deux adultes. Il s’agit d’un chef d’État et d’une femme qu’il présentait comme étant sa "compagne". Vous m’avez aussi dit : "Ce n’est pas grave, en tant que femme non mariée, je ne pourrai pas l’accompagner au Vatican et en Arabie saoudite."
Chère Valérie, vous vous arrangez parce que vous êtes amoureuse. Jusqu’à quand alliez-vous vous contenter d’arrangements ? Il a fallu cette information dans un journal people pour que les choses prennent leur dimension. Le choc a dû être terrible. Votre hospitalisation et les communiqués qui l’ont suivie en disent long sur votre état et votre fragilité, même si on vous a fabriqué une réputation de femme "forte et dure". Il aurait fallu faire l’apprentissage du détachement, de l’intranquillité menaçante et vous préparer à des perturbations de la sorte.
À présent, il vous faudra choisir : continuer à vivre à côté d’un homme qui est ce qu’il est et qui ne changera pas, ou bien tourner cette page douloureuse et trouver votre place, celle qui garantit votre équilibre et peut-être facilitera votre accès au bonheur. La pièce est mauvaise et le metteur en scène a souvent été absent, occupé par d’autres scènes, d’autres images et d’autres illusions.
À vous, chère Valérie, mon amitié vive.