Strauss-Kahn dans son assiette pour 2012

Lors d’un dîner en petit comité, le patron du FMI a pour la première fois ouvertement affiché un appétit présidentiel. Retour sur une soirée qui pourrait changer la donne au PS.

Strauss-Kahn dans son assiette pour 2012
En entrée, ils ont opté pour de la tête de veau. Le mets favori de Jacques Chirac. Le signe d’un appétit élyséen ? La soirée est déjà bien avancée, ce mercredi 3 février, quand le premier cercle de Dominique Strauss-Kahn s’attable dans un restaurant parisien, non loin de l’Hôtel de Ville. Autour du patron du Fonds monétaire international (FMI) et de son épouse, Anne Sinclair, à peine une dizaine de personnes. Plusieurs députés, dont les lieutenants Jean-Christophe Cambadélis et Jean-Marie Le Guen. Des cadres strauss-kahniens du PS. Et des salariés de la puissante agence de communication Euro RSCG, dont Gilles Finchelstein, conseiller de DSK. Juste la garde rapprochée de l’ancien ministre de l’Economie. Question de confiance.

Petit-lait. C’est que l’affaire est sérieuse. «Je ne veux pas que cette réunion soit rendue publique», verrouille d’emblée Strauss-Kahn, marqué à la culotte, depuis Washington, par un board plutôt sourcilleux quant au mélange des genres et aux incursions de son représentant sur le terrain de la politique française. Depuis un déjeuner avec ses partisans, un an et demi plus tôt, à l’issue duquel ses propos avaient fuité, c’est la première fois que DSK, à cette échelle, rassemble ses proches. Pour parler politique. Et rien que politique.

«Si ce soir je vous ai réunis, c’est pour réfléchir avec vous», explique-t-il afin d’ouvrir l’appétit de ses ouailles. Alors que sa cote n’en finit plus de grimper à la bourse de l’opinion, et que ses partisans se désespèrent de le voir donner un signe, celui que certains fidèles surnomment «l’imam caché» des socialistes, enfin, va parler. Et régaler l’assistance : «Ma réflexion n’est pas achevée. Mais elle a commencé.»

Sur la table, vins rouge et blanc, et champagne. Mais c’est bien du petit-lait que boivent les strauss-kahniens. Bien sûr, DSK, même si son envie, ces jours-ci, semble de moins en moins contestable, n’est pas encore officiellement candidat à l’investiture socialiste. Mais ce soir, le managing director du Fonds monétaire s’efface et laisse place au possible compétiteur du PS. Une première. Alors qu’il évitait soigneusement le champ politique hexagonal et socialiste pour se borner le plus souvent, lors de ses passages à Paris, à parler avec ses amis crise financière et régulation mondiale, il met le pied dans le plat de résistance. «Là, il est dans la politique politicienne», rapporte un convive. Et embarque les dîneurs médusés et ravis dans «un flot de questions politiques tous azimuts». Tout y passe. Les sondages. Les régionales. Le cas Georges Frêche, sulfureux patron de la région Languedoc-Roussillon. La situation en province et en banlieue. L’état de la droite, l’affrontement entre Sarkozy et Villepin, le rapport de force au sein du groupe UMP. Ses amis parlent, le renseignent. Lui écoute. «Il cherche à comprendre un certain nombre d’éléments. Il se préoccupe des grandes plaques tectoniques de la vie politique du pays», raconte un autre participant. Peu d’affirmations. Beaucoup d’interrogations.

Douceur. Mais il faut bien, en retour, lui poser, à lui, des questions. La question. Après deux heures d’échange, c’est le député de Paris Jean-Marie Le Guen qui s’en charge, avec la diplomatie qui sied : «Nous comprenons que c’est difficile et qu’il s’agit d’un choix personnel. Qu’est ce que tu peux nous dire ?» La réponse de leur champion n’est pas de nature à doucher leurs ardeurs. Certes, Strauss-Kahn exclut tout affrontement direct avec Martine Aubry, qu’il doit d’ailleurs rencontrer le lendemain. Depuis le congrès de Reims, en 2008, la première secrétaire du Parti socialiste demeure liée à lui par un accord politique : «Dans mon esprit, il n’est pas question, si je renonce, d’empêcher Martine. Parce que c’est elle qui serait alors en situation. Je ne veux pas jouer à qui perd gagne.» Mais pour l’heure, le socialiste préféré de l’opinion n’affiche de son côté pas la moindre intention de «renoncer» : «Je ne vais pas changer de musique, mais de tempo. Je ne tiens pas à ce qu’on accélère, à ce qu’on dise que je me prépare. Je suis encore dans une phase de réflexion. Mais si on vous pose la question, dites que je réfléchis.» Dominique Strauss-Kahn n’est pas tout à fait installé sur la ligne de départ. Mais le braquet, assurément, a changé. Au point que l’ancien député de Sarcelles, qui fonctionnait jusqu’ici par rencontres bilatérales, discussions informelles et échanges de SMS avec ses amis politiques, leur demande désormais de soigner le dispositif. Sollicite leurs lumières sur les sujets qui comptent : «J’ai besoin de notes. Quand vous le sentez nécessaire, éclairez-moi. Donnez-moi des éléments qui puissent alimenter ma réflexion.» Et charge Jean-Marie Le Guen de lui fournir des papiers sur les grandes questions programmatiques, comme les retraites. Une dernière douceur pour conclure en beauté ces discrètes, mais nourrissantes agapes.

Plus de doute : DSK a bel et bien l’intention de se préparer. Et le plus sérieusement du monde. Autant dire que c’est plutôt gais que les dîneurs, vers 1 h 30 du matin, se séparent. «On entre dans une nouvelle phase», dit l’un. Le sentiment général des convives ? «Il sera candidat», estime un deuxième.

Pas tout à fait : cette décision, le directeur général du FMI la prendra dans les prochains mois, grosso modo d’ici la fin 2010. Il comptera ensuite sur le G20, fin juin 2011 à Cannes, pour parfaire son festival aux côtés du gotha international. Avant d’officialiser une éventuelle candidature dans la foulée, dans un de ces plans médias savamment orchestrés dont le clan des strauss-kahniens a le secret. Mais ce souper fin restera, dans la petite histoire socialiste, comme le repas au cours duquel DSK a fait le premier pas.

Libération

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