Sissi réhabilite Moubarak
Sitôt révélée, l’information avait fait l’effet d’une bombe. Hosni Moubarak, l’ex-président égyptien âgé de 86 ans, emporté par la vague du printemps arabe, a été blanchi ainsi que ses deux fils Gamal et Alaa, de toutes les accusations portées contre eux, qu’il s’agisse de la corruption ou de l’implication dans le meurtre de manifestants. Mais aussi surprenante soit-elle, cette information a cette qualité rare de ne surprendre personne. La libération de Moubarak était dans l’ère du temps depuis que le général Abdelfatah al Sissi a renversé Mohamed Morsi et pris ensuite le pouvoir par les urnes dans une sorte de coups de force qui avait fait couler beaucoup d’encre.
Par Mustapha Tossa
Certains pourront à raison pointer le fait que toute la classe politique égyptienne, qui s’est construite durant ces années "printemps arabes" ayant permis l’arrivée d’un militaire comme Sissi au pouvoir, s’est construite sur la négation de l’héritage porté par Moubarak. Cette décision judiciaire aux allures d’un tournant politique est susceptible de relancer la grande discorde égyptienne sur le pouvoir depuis que les Frères ont été mis au ban de la société. Une démarche qui avait complètement remis au goût du jour la menace terroriste qui pèse sur l’Egypte avec le risque évident de radicalisation de certaines forces politiques.
L’acquittement de Hosni Moubarak ainsi que de celui de l’ancien ministre de l’intérieur Habib El Adli et de six dirigeants de services de sécurité, est un puissant signal qui conforte un étrange état d’esprit en Égypte provoqué par la montée en puissance de l’armée contre la confrère des Frères musulmans. Un état d’esprit est divisé en deux angoisses. La première est de voir revenir avec des gros sabots l’ancien régime avec ses pulsions autoritaires et liberticides. La seconde est de revenir à un état de confrontation entre l’armée et la rue égyptienne qui va forcément se nourrir de la colère provoquée par ce processus de restauration. Les premières réactions de la rue égyptienne ont sonné sans aucun doute le tocsin d’une grande mobilisation et de dénonciation de ce retour de l’ancien régime.
La décision de la justice égyptienne intervient à un moment crucial où on assiste à une reconfiguration de la vie politique de principaux pays du printemps arabe. La Tunisie, pays leader en la matière, voit revenir aux commandes du pouvoir les symboles les plus parlants de l’ère Ben Ali. Les voix les plus bienveillantes voient dans ce phénomène une tentation de réconciliation entre l’ordre ancien qu’il semble difficile d’enterrer et le nouveau qui peine à naître. Le chaos libyen avec sa loi de priver la nouvelle administration de tous les collaborateurs de l’ère Khaddafi semble avoir joué un rôle d’épouvantail, et par conséquent d’une grande dissuasion. Ce qui avait encouragé la réhabilitation des anciens comme méthode d’éviter les ruptures et le fractures.
La nouvelle séquence qui s’ouvre en Égypte paraît semée d’embûches. La renaissance de ces cendres de l’ancien régime sous l’impulsion d’une justice ouvertement politisée est de nature à compliquer d’avantage le jeu politique égyptien. Là où la mission du nouveau régime paraissait s’articuler autour de la nécessité d’apaiser les esprits et de calmer les ardeurs et les frustrations, la réapparition de Hosni Moubarak et la disculpation de son premier cercle est de nature à exacerber les rancœurs et à exciter les antagonismes. La réhabilitation de Moubarak par Sissi prend déjà ce contexte des allures de reprises en main qui ferme définitivement la parenthèse du printemps arabes et de toutes les tentations démocratiques qu’il avait charriées dans son sillage
Ce tournant est d’autant plus décisif que le pays entier est engagé dans une guerre sans merci contre le terrorisme dont la péninsule du Sinaï est devenue un foyer actif.