Plus de dix mille personnes se sont encore rassemblées samedi contre la réforme un peu partout en France. Et la grève dans les transports continue, en particulier en Ile-de-France.
Dimanche, la SNCF prévoit 4 TER sur dix, 6 TGV sur 10 et 1 Transilien sur 5. Treize lignes de métro sur seize seront fermées à Paris avant une "amélioration significative" promise par la RATP pour lundi.
Alors qu’aucune négociation n’est prévue avant le 7 janvier, le dirigeant cégétiste Philippe Martinez accuse dans le Journal du Dimanche le gouvernement d’organiser "le bordel" et de jouer "le pourrissement" d’un mouvement social déjà plus long que celui de 1995.
"Ils se sont dit ? +on va leur coller les ultimatums pendant les fêtes de Noël+. Emmanuel Macron se veut l’homme du nouveau monde, mais il imite Margaret Thatcher", cingle-t-il: "il a dit qu’il avait changé, qu’il était prêt à l’écoute… Où est l’acte ?II du quinquennat ? ?".
Dans le même JDD, le secrétaire d’Etat aux Transports Jean-Baptiste Djebbari accuse la CGT de pratiquer un syndicalisme "de blocage" voire "d’intimidation", et dénonce "une pression qui s’exerce de façon anormale sur une partie des cheminots" pour qu’ils participent au mouvement.
Le président est resté quasiment muet sur le conflit depuis des semaines, laissant son Premier ministre Edouard Philippe en première ligne. Il s’est contenté depuis la Côte d’Ivoire d’un vain appel à "faire trêve" pour Noël et a fait savoir qu’il renonçait à sa pension de président, avant de se retirer à Brégançon.
Il se ménage ainsi une possible fenêtre de tir le 31 pour débloquer la situation, sauf s’il opte pour le bras de fer, au risque de radicaliser les opposants.
Messages contradictoires
Il est en particulier attendu sur un possible aménagement de l’âge-pivot de 64 ans, "ligne rouge" pour la CFDT, aussi inflexible pour demander son retrait qu’Edouard Philippe pour le maintenir.
La mesure ne fait pas partie du projet initial de système de retraite universel d’Emmanuel Macron. Elle ne figurait pas dans son programme. Il s’y était même déclaré hostile fin août, avant de se laisser convaincre par son Premier ministre et autres partisans des économies sur les pensions.
L’Elysée avait d’ailleurs évoqué mi-décembre de possibles "améliorations autour de l’âge-pivot", ce dont Matignon s’était aussitôt irrité.
Ce président convaincu des vertus de la pédagogie peut aussi vouloir tenter de mieux expliquer un système à points qui déroute les Français. Fin novembre, il avait ironisé sur une "étrange" contestation "contre une réforme dont on ne connaît pas les termes exacts", petite phrase qui n’a qu’accru la méfiance.
Marteler à nouveau qu’il ne s’agit que de supprimer les régimes spéciaux risque de ne pas suffire, alors qu’une majorité de Français soutient toujours les grévistes. Et que le gouvernement a préservé les militaires et accordé des dérogations aux policiers, puis aux pilotes ou aux danseurs de l’Opéra, notamment.
Son silence a laissé ses troupes envoyer des messages contradictoires. Comme entre Aurore Bergé, porte-parole de LREM, qui affirme aux grévistes "vous n’obtiendrez rien" et Olivia Grégoire, vice-présidente de la commission des finances, qui prédit "plusieurs milliards" de "concessions" du gouvernement.
Age-pivot modulable ?
L’opposition attend elle aussi de lui une initiative. La gauche lui demande de retirer sa réforme lors de ses voeux. La droite, par la voix du président du groupe des députés LR à l’Assemblée Damien Abad, lui réclame "des clarifications" et insiste sur la prise en compte de la pénibilité, possible levier des négociations.
"Le 31 décembre, le président va s’engager à poursuivre son combat, rester au-dessus de la mêlée et laisser faire son gouvernement. C’est une stratégie de pourrissement" d’ici la reprise des pourparlers le 7 janvier, pronostique Damien Albessard, conseiller en communication. "Le gouvernement peut attendre mais à partir du 10 janvier les cheminots ne toucheront plus leur salaire. On peut assister à une radicalisation de certains d’entre eux", avertit-il.
"Tout flotte chez les Marcheurs. La seule manière de sortir de la crise, c’est que le chef prenne la parole le 31", estime l’analyste Philippe Moreau-Chevrolet. "Et qu’il annonce quelque chose, comme le grand débat ou une suspension de la réforme. Il pourrait aussi la vider de son contenu, ou encore retirer ou moduler l’âge-pivot, afin de pouvoir faire passer l’essentiel de sa vision".
Ce sera la seconde fois que le chef de l’Etat devra prononcer ses voeux en pleine crise sociale. L’an dernier, il faisait face à la colère des "gilets jaunes". Mais après avoir lâché 10 milliards d’euros d’aides et renoncé à la taxe contestée sur les carburants.