Place Beauvau… asile pour l’intégration ?

On avait bien compris en entendant le candidat François Hollande, lors du débat d’entre-deux tours, prendre ses distances avec son engagement écrit de ne plus voir d’enfants en centre de rétention, que ce n’était pas là le sujet qui lui était le plus facile. L’affirmation réitérée de son refus de toute régularisation d’ampleur, l’identité terminologique avec les mots de la droite destinés à pourfendre les «clandestins», tout cela montre que le président de la République peine à définir ce que pourrait être une autre politique dans ce domaine. Et, sauf à pratiquer un angélisme de mauvais aloi, il faut reconnaître qu’entre différentes contraintes, la moindre n’étant pas une difficile coopération européenne pourtant ô combien nécessaire, le sujet n’est pas de ceux que l’on peut résoudre en un débat ni même en une ou plusieurs lois ou décrets.

La surenchère à laquelle Nicolas Sarkozy s’est livré sur ce thème, depuis qu’il est ministre de l’Intérieur jusqu’à sa défaite, a rendu encore moins audible tout propos rationnel sur ce sujet, en même temps que, vieille vérité historique, les peurs contemporaines font de nouveau se conjuguer l’image de l’Étranger et du bouc émissaire. La même loi d’airain de l’histoire veut qu’après l’étranger, ce soit celui qui lui ressemble, fût-il français, qui fasse les frais du rejet. La mise en cause de plus en plus acerbe des Arabes, des musulmans, des gens du voyage, la liste n’est pas limitative, la stigmatisation de plusieurs catégories de population, selon leur origine, leur situation géographique ou sociale, sont venues comme la suite naturelle de cette xénophobie d’État. L’air est vite devenu irrespirable pour toute une partie de la population. En politique, encore plus depuis que notre société se nourrit d’images et de représentations, les signes donnés sont souvent aussi importants que le fond des mesures prises.

Et le décret qui définit les attributions du ministère de l’Intérieur lance un des plus mauvais messages qui soient. Il maintient, en effet, dans les attributions de ce ministère l’immigration, l’asile, l’intégration et les naturalisations. Il ne s’agit pas ici de faire un procès d’intention au nouveau ministre de l’Intérieur dont on jugera de l’action sur pièces. Il s’agit de relever qu’en confiant à la place Beauvau le soin de préparer et de mener la politique dans des domaines qui n’ont rien à voir avec ses compétences naturelles, la vision réductrice et alarmiste d’une trop grande présence étrangère ou d’origine étrangère, justifiant d’un traitement policier, continue à s’imposer comme l’alpha et l’oméga de toute politique gouvernementale qu’elle soit de droite ou de gauche. Rien ne justifie que le ministère de l’Intérieur ait son mot à dire sur l’application du droit d’asile alors que celui-ci résulte, au-delà des dispositions constitutionnelles, de l’application d’une convention internationale qui oblige la France. Il suffit de constater les délais et le fonctionnement désastreux de l’Ofpra et de la Cour nationale du droit d’asile (la révolte des avocats spécialisés dans ces dossiers en atteste), ou les restrictions quotidiennes opposées à l’action des associations, pour se convaincre que l’autorité naturelle de ce domaine réside au ministère de la Justice.

Rien ne justifie que les naturalisations soient aussi restées dans l’escarcelle du ministère de l’intérieur. Les réformes législatives intervenues, comme l’éclatement du traitement des dossiers par préfecture ont entraîné une chute vertigineuse des naturalisations (94 500 en 2010, 66 000 en 2011 selon Claude Guéant) avec son cortège d’arbitraire et de discrimination selon l’origine. Ce qui se lit de la manière suivante : mieux vaut ne pas être issu du Maghreb ou d’Afrique, mieux vaut ne pas être musulman pratiquant ou non et mieux vaut ne pas avoir d’idées politiques…C’est la même logique qui prévaut dans ce l’on appelle «l’intégration» qui n’est rien d’autre que l’alignement sur une certaine conception de l’identité française dont on a vu ce qu’elle portait d’exclusion et de haine lorsqu’il vint au précédent gouvernement l’idée de la mettre en débat sous l’égide des préfectures.

Sans doute, Manuel Valls plaidera-t-il qu’il en sera autrement sous son égide. Mais, d’une part, ce n’est pas lui faire injure que de s’interroger sur les raisons pour lesquelles de mauvaises lois deviendraient bonnes sous un autre gouvernement. D’autre part, on se permettra de faire valoir ici une expérience : trente ans de fréquentation assidue des mécanismes préfectoraux ont permis de constater qu’à quelques amodiations près, avoir enseigné pendant des années aux agents que les étrangers sont par hypothèse des fraudeurs et au mieux de trop, ne permet aucune amélioration si des signes radicaux de changement ne sont pas donnés par l’autorité politique. L’engagement en faveur du droit de vote des résidants non communautaires aux élections locales est un grand pas en avant. Son application ne suffira pas à transformer profondément le paradigme dans lequel sont enfermés les étrangers et ces millions de Français que l’on désigne encore par leur origine ou leur religion plutôt que par leur nationalité.

La haine a été trop longtemps distillée, elle est maintenant revendiquée et mesurable. L’apaisement que nous souhaitons tous, le retour à un débat rationnel, le respect de ceux et celles qui sont, Français ou non, des êtres humains passe, d’abord, par cesser de diaboliser les étrangers.

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