Moines de Tibéhirine: 22 ans après, la thèse officielle à nouveau mise en doute

Plus de vingt ans après l’assassinat des moines de Tibéhirine, huit experts ont rendu leur rapport sur les prélèvements de leurs crânes, une étape très attendue qui conforte les doutes sur la thèse officielle sans lever le mystère sur les conditions de leur mort.

Dans ce rapport de 185 pages dont a eu connaissance l’AFP, le collège d’experts désigné par les juges antiterroristes n’émet aucune certitude sur les circonstances du décès, faute d’"argument nouveau concernant la cause directe de la mort" des religieux.

Mais ses conclusions datées du 23 février viennent renforcer les doutes sur la thèse officielle avancée à l’époque par Alger, celle d’un enlèvement puis d’un assassinat revendiqués par des islamistes du GIA en pleine guerre civile. Des soupçons ont, depuis, émergé sur une possible implication des services secrets militaires algériens.

Les sept moines de l’ordre cistercien de la stricte observance avaient été enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 dans leur monastère de Notre-Dame de l’Atlas, sur les hauteurs de Médéa, en Algérie.

La première revendication de leur kidnapping, signée du chef du GIA Djamel Zitouni, n’était tombée que le 26 avril. Un communiqué un mois après, le 23 mai, affirmait qu’ils avaient été tués deux jours plus tôt, la gorge tranchée. Seules les têtes avaient été retrouvées sur une route, le 30 mai.

Les prélèvements avaient été effectués à l’automne 2014 lors d’une exhumation des crânes des religieux enterrés à Tibéhirine, mais les juges et les experts français qui y avaient assisté n’avaient pu les rapporter d’Algérie.

"soupçons d’une possible mise en scène"

Finalement, en juin 2016, au terme d’un bras de fer, la juge française Nathalie Poux, qui dirige l’enquête avec Jean-Marc Herbaut après le départ du médiatique Marc Trévidic, avait ramené à Paris des échantillons et ordonné une expertise.

Menée par huit experts, elle jette le doute sur les conditions de la mort décrites dans la revendication islamiste, notamment sur le point crucial de la datation des meurtres, accréditant des hypothèses déjà évoquées en juin 2015 dans un rapport basé sur les constatations effectuées sur place par les enquêteurs français.

Ainsi, "l"hypothèse de décès survenus entre le 25 et le 27 avril", soit bien avant l’annonce officielle de leur mort, "reste plausible", estiment les experts, au regard de l’état de décomposition des têtes à leur découverte et d’analyses menées sur l’apparition de cocons d’insectes.

Ils soulignent que des traces d’égorgement n’apparaissent que pour deux des moines et que tous présentent les signes d’une "décapitation post-mortem", de quoi alimenter les soupçons d’une possible mise en scène.

En l’absence de traces de détérioration par des animaux, ils jugent aussi "vraisemblable" l’hypothèse d’une "première inhumation" avant la découverte des têtes.

L’absence de traces de balles viendrait aussi une nouvelle fois "fragiliser la thèse d’une éventuelle bavure" de l’armée algérienne lors d’une opération menée depuis un hélicoptère, "sans toutefois l’anéantir totalement car nous n’avons pas les corps", a expliqué Me Patrick Baudouin, avocat des familles des religieux.

"Ce rapport n’apporte pas la démonstration d’une vérité absolue mais il en résulte des pistes concordantes qui mettent en doute la version officielle simpliste et contribuent à laisser penser à une possible manipulation de la part des services militaires", a déclaré l’avocat.

La thèse officielle a notamment été remise en question par les témoignages d’anciens membres de l’armée algérienne, difficiles à étayer, impliquant les services secrets militaires. Ils mettent en lumière le rôle trouble joué à l’époque par Djamel Zitouni, qui aurait pu être un agent double. "Certes, le GIA a pu être impliqué dans l’enlèvement mais est-ce que ce groupe aurait pu être manipulé?", s’interroge Me Baudouin.

Selon lui, "on ne parviendra pas à la vérité tant qu’il subsiste en Algérie un système opaque avec une chappe de plomb".

Les frères Christian, Bruno, Christophe, Célestin, Luc, Paul et Michel, âgés de 45 à 82 ans à leur mort, ont été déclarés martyrs fin janvier par le pape François, un processus ouvrant la voie à leur béatification.

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