« Masqués mais pas muselés », des milliers de soignants manifestent partout en France
« Finis les applaudissements, place aux rassemblements »: après trois mois de crise sanitaire, médecins, aides-soignants et infirmiers battaient le pavé par milliers mardi un peu partout en France pour rappeler le gouvernement à ses promesses sur l’hôpital, en plein « Ségur de la santé ».
Les soignants sont sortis en bloc: au moins 4.000 manifestants à Bordeaux et 3.500 à Marseille (selon la police), entre 2.600 et 5.000 (selon les syndicats) à Montpellier, 1.500 à 3.000 à Caen, 1.300 à 3.000 à Rennes, 800 à 1.500 à Orléans, mais aussi plusieurs milliers à Paris et Lyon comme l’ont constaté des journalistes de l’AFP.
A Paris, où le cortège parti du ministère de la Santé a rejoint en milieu d’après-midi l’esplanade des Invalides, des échauffourées ont éclaté en fin de parcours et les forces de l’ordre ont fait usage de gaz lacrymogène, ont constaté des journalistes de l’AFP.
Quelque 220 autres rassemblements étaient prévus dans le cadre de cette journée d’action nationale, organisée à l’appel d’une dizaine de syndicats et collectifs de soignants (CGT, FO, Unsa, SUD, Collectif Inter-Hôpitaux…). Les premières manifestations autorisées dans le pays depuis l’entrée en vigueur du confinement il y a trois mois.
Objectif: mettre à profit le soutien engrangé auprès de la population pendant la crise sanitaire afin d’obtenir des avancées pour les salariés des hôpitaux et des Ehpad, salués comme des « héros en blouse blanche » par le chef de l’État au début de l’épidémie.
Les premiers gages de la « reconnaissance » promise par l’exécutif sont pourtant loin d’avoir convaincu les intéressés: « On ne veut pas de médaille ou de petite prime à la sauvette, on veut un salaire à la hauteur de ce que nos métiers apportent à la société », affirme Clara Grémont, aide-soignante près de Montpellier.
« un rapport de force »
« La crise du coronavirus a montré les failles de notre système mais on a fait face, on n’avait pas le choix », explique Charlotte Dumont, infirmière puéricultrice à Bordeaux, pour qui « le problème de fond, c’est qu’on gère l’hôpital comme une entreprise ».
Une contradiction qui nourrit la colère de Michel Soulié, infirmier psychiatrique près de Grenoble: « On fait un travail de merde, ce n’est plus possible de continuer comme ça, il y a une vraie radicalisation qui s’installe chez les soignants ».
Après plus d’un an de grève aux urgences, puis dans l’ensemble des services hospitaliers, les revendications n’ont pas changé: « On attend une revalorisation des salaires et la reconnaissance des qualifications. On attend l’ouverture de lits, l’embauche de personnels », a rappelé le numéro un de la CGT, Philippe Martinez, au début du rassemblement parisien devant le ministre de la Santé.
Autant de sujets posés sur la table du « Ségur de la santé », vaste concertation lancée fin mai par le gouvernement et pilotée par Nicole Notat, qui doit concrétiser d’ici début juillet le « plan massif d’investissement et de revalorisation » promis par Emmanuel Macron.
« Il faut absolument que les réponses soient à la hauteur des attentes » a prévenu le secrétaire générale de Force ouvrière, Yves Veyrier, lui aussi présent dans la capitale, soulignant que l’issue d’une négociation « est toujours le produit d’un rapport de force ».
Dans la cité phocéenne, le chef de file des Insoumis, Jean-Luc Mélenchon, ne voyait pas l’intérêt de ces discussions: « A quoi bon faire un Ségur de la santé? Vous pensez qu’on ne sait pas ce dont on a besoin à l’hôpital public? ».
« on travaille, on avance »
D’autres secteurs réclament également leur dû, comme les établissements médico-sociaux, où la CFDT a déposé un préavis de grève mardi, tandis que son secrétaire général Laurent Berger a appelé sur RFI à « se préoccuper des agents de la santé du privé, qui ont aussi été au front pendant cette période ».
Croisés aussi dans les cortèges: Amélie Mebanda, aide à domicile à Grenoble, qui se demande « pourquoi (son) métier n’est pas reconnu comme les autres » ; Stéphane Colleu, ambulancier au Smur de Rennes, qui souhaite « être considérés comme (les) soignants ; Denis Dicop, pompier à Pithiviers, venu soutenir les soignants à Orléans car « on est tous à la même enseigne, c’est-à-dire déplorable ».
Le ministre de la Santé Olivier Véran s’est toutefois voulu rassurant lundi sur LCI: « On travaille, on avance », a-t-il déclaré, en indiquant que « plus de cent consultations au niveau national » avaient été effectuées depuis le début du « Ségur ».
Hasard du calendrier? Le gouvernement a publié ce weekend des décrets entérinant le versement d’une prime exceptionnelle de 1.000 à 1.500 euros pour les salariés des Ehpad, et une majoration de 50% des heures supplémentaires effectuées à l’hôpital, qui seront payées avant septembre.
Concernant les hausses de salaire promises dans le cadre du Ségur, « le rendez-vous est fixé » avec les soignants, a par ailleurs rappelé lundi Olivier Véran. « D’ici à début juillet ils auront toutes les réponses aux questions qu’ils posent et aux revendications qu’ils portent légitimement ».