Les révolutions arabes, comment les récupérer ? (Libération)

Par PIERRE MARCELLE– Mais si, il y a encore une politique étrangère de la France, dont Michèle Alliot-Marie demeure l’erratique ministre en titre, qu’il importait mardi d’exporter au Brésil faire semblant de tenter d’y vendre les invendables Rafale de Dassault. Mais oui, il existe encore une diplomatie française, dont le dernier avatar s’appelle Boris Boillon, étonnante petite chose ambassadrice et mal élevée, bling-blingante et maigrement bodybuildée, dont l’apparente compétence fait plutôt songer, dans sa partie, à celle du juge Burgaud (celui d’Outreau) dans la magistrature. Et Patrick Ollier aussi, cramé tout pareil, reste ministre, et président des Amitiés franco-libyennes à l’Assemblée, même si un peu moins «frère» de Muammar al-Kadhafi…

Ça coûte combien, la vanité têtue du chef de l’Etat ? Ça coûte cher. Assez, paraît-il, pour que des diplomates s’en émeuvent, fût-ce dans l’anonymat mondain et douillet d’un groupe baptisé «Marly», du nom de leur cantine parisienne du Palais Royal – tout un programme. Et de même s’émouvait l’autre semaine le corps énervé des juges, dans l’unité de leur tiers-Etat misérable et de leur noblesse de pourpre et d’hermine… Même cause, mêmes effets. Laëtitia Parrais / Florence Cassez ; Woerth / Alliot-Marie ; Ben Ali/ Moubarak / Kadhafi : toujours le fait divers dicte la loi, le conflit d’intérêts la doctrine et le business les principes dans toujours la même confusion des genres. Ainsi va, de corporations en corporatismes, la Sarkozie bien esquintée.

Au rythme des dictatures qui tombent, cependant, se réécrit l’histoire, de jour en jour, vertigineusement. Inconcevable il y a un mois, la «contagion» arabe renverse tous les plans de tous les experts. Ainsi, l’aspiration au pain, au travail, à la liberté, pourrait-elle être plus forte que tous les paravents idéologiques et religieux alimentant le dogme du «choc des civilisations» ? Eh bien oui, et au-delà même du proche et du Moyen Orient, jusqu’en Perse, et assez pour que l’impératif «Dégage !» s’entende universellement.

C’est rien moins que l’humanité des pauvres – leur appartenance à un genre humain – que les riches font mine de considérer, et qu’il importe urgemment de prendre en compte, pour que perdure le vieux monde sur ses vieux fondements.

Si ce n’est l’islam intégriste qui soulève les peuples, quoi, alors, et comment la récupérer, cette vague de fond qui met tout cul par-dessus tête, la «Patrie des droits de l’Homme» à la traîne des tyrans, et l’Amérique d’Obama à l’avant-garde diplomatique, même si forcément opportuniste, des émancipations?

Où l’on se prend à rêver que, plutôt qu’à se retrouver debout sur les freins contre les révolutions arabes, Israël ait participé de leur éclosion, au nom même des principes démocratiques qu’il revendique. En donnant au peuple palestinien les moyens d’y participer à travers, par exemple, l’initiation d’un «processus de paix» qui, éternellement bloqué, fut bientôt réductible à une cynique escroquerie éternellement entretenue…

Ce que le riche ne voulait entendre, il lui faut aujourd’hui l’admettre en catastrophe. Mieux : il lui faut l’intégrer dans son champ pour sauvegarder le système pérennisant l’exploitation de l’homme par l’homme, et qui est bien l’essentiel. Comment la légitimer, cette exploitation, si tous les hommes naissent assez libres et égaux en droit pour s’autoriser à renverser des dictateurs ? Comment, si, comme le disait dans le poste un Bernard Guetta tout ébaubi, «tout homme aspire à la démocratie» ? Simple : en faisant entrer cette aspiration dans les clous de la globalisation libérale. D’où, pour faire pièce à une révolution plus sociale qu’islamique (et qu’Al-Jezira surtout alimenta), sa requalification en «cyber-révolution» – moderne, libérale et mondialisée (et pourquoi pas indolore?) Sans que la promotion de Twitter, d’Internet et des réseaux sociaux contredise un indicible désir de contre-révolution, susceptible de rétablir demain la version classique, hard, des rapports Nord-Sud, avec Ubu à la botte et peuples asservis.

Paris, depuis des semaines à contretemps, à contre-pied et à contre-courant, entretient ces deux fers au feu dans une ambiguë partition. Quand, à propos des apocalyptiques «boucheries» promises par le Néron de Tripoli, le petit Wauquiez pleurniche que «c’est juste inacceptable» (sic), on sent bien vivace encore la trop réelle politique de la France qui réhabilita Kadhafi. Quand, simultanément, le parti UMP s’apprête à nous resservir, au prétexte de «laïcité», son poison d’«identité nationale» dans ses «Assises sur la place de l’islam en France», on entend moins sa peur de l’islam que sa peur du neuf. Et que Ben Ali, Moubarak, Kadhafi et alii, c’était plus sûr…

Aux yeux de l’empire, il faut bien plus que la chute des tyrans pour faire, des peuples libérés, des peuples libres.

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