L’énigmatique livraison du chef des milices du Polisario Brahim Ghali
Les réseaux sociaux ne bruissent que de cette double interrogation : Pourquoi les services algériens ont-ils choisi de faire hospitaliser Brahim Ghali, chef des milices séparatistes du Polisario en Espagne sachant pertinemment qu’il est poursuivi par la justice espagnole pour viol, tortures et crimes contre l’humanité ? Pourquoi l’Espagne a-t-elle omis d’en informer le Maroc ? Et qui a livré l’information sur son identité algérienne à la presse et provoqué une telle déflagration politique et sécuritaire dont la portée dépasse largement la sinistre personne de Brahim Ghali ?
Jusqu’à présent, tous ceux qui ont essayé d’apporter des réponses convaincantes à ces interrogations se sont perdus en conjectures. Contraints d’élaborer des scénarios dont la morale des histoires peut renseigner sur les multiples évolutions des rapports de force dans la région du Maghreb.
Premier scénario qui vient à l’esprit partant de l’exactitude des informations sur le passeport algérien de Brahim Ghali indique que la fuite pourrait provenir des services algériens. Ces informations sur les fabrications des titres de voyages et des identités fantômes sont traditionnellement détenues par le premier cénacle du contre-espionnage algérien .
Toute la question de ce scénario est de savoir si la fuite était volontaire avec l’objectif machiavélique de provoquer ce scandale autour de Brahim Ghali, devenu gênant. Ou s’il s’agit d’une faille béante qui a permis de livrer à la presse un des secrets d’Etat censé être le mieux gardé dans la stratégie algérienne.
Dans les deux cas, la crédibilité des services algériens, supposés avoir mobilisé la crème de leurs intelligences sur cette affaire, en prend un sacré coup.
A l’exception de l’hypothèse d’une fuite espagnole ou d’une performance marocaine, l’idée d’une faille algérienne volontaire ou pas domine largement les analyses sur cette énigmatique livraison de Brahim Ghali, poursuivi en Espagne pour crimes et tortures.
Aujourd’hui, les regards sont concentrés sur les possibles changements à la tête des services algériens dont tout mouvement peut renseigner sur la vision des uns et des autres concernant cette sombre affaire d’hospitalisation du chef des milices du Polisario en Espagne, le pays dont la justice se doit de le mettre sous les verrous.
Ou des sanctions tombent et des têtes sont coupées dans l’architecture du renseignement algérien pour faire payer le prix d’une faille béante qui a fait qu’un des secrets les mieux gardés puissent se retrouver à la une des journaux. Le président Abdelamajid Tebboune avait nommé le 8 avril le général Abdelghani Rachedi au poste de directeur-adjoint de la Sécurité intérieure avec des prérogatives élargies. Si les sanctions tombent, cela pourrait indiquer que la junte algérienne sanctionne les auteurs d’une possible bourde ou d’une fuite.
Si par ailleurs rien ne se passe, cela pourrait confirmer dans les esprits de beaucoup une volonté algérienne de se débarrasser à bon prix d’un fardeau nommé Brahim Ghali, dont l’usage n’est sans doute plus compatible avec la séquence politique à venir.
En tout état de cause, qu’elle soit volontaire ou pas, la transformation de Brahim Ghali en Mohamed Benbatouche et le scandale politico-diplomatique qu’elle a provoqué ont montré, à ceux qui en doutaient encore, le degré d’intimité entre l’appareil sécuritaire algérien et la direction du Polisario. Ce qui rend la présence de l’Etat algérien à toute négociation sur ce conflit absolument obligatoire.
Sur le plan diplomatique marocain, cette affaire a permis au Maroc d’exprimer « une incompréhension et une exaspération » et « demander des explications » aux autorités espagnoles sur cette hospitalisation en catimini et sur le fait que la justice espagnole n’a pas encore réagi aux nombreuses plaintes déposées par les victimes de Brahim Ghali, alias Mohamed Benbetouche.
Dès vendredi dernier, la cheffe de la diplomatie espagnole, Arancha Gonzalez Laya, s’est empressée de déclarer que les relations avec le Maroc ne seraient pas affectées par « l’accueil strictement humanitaire » du chef du Polisario. « Cela n’empêche pas et ne perturbe pas les excellentes relations que l’Espagne a avec le Maroc ».
Aujourd’hui, une intense attention est portée aux suites des processus judiciaires que doit donner l’Espagne au dossier Brahim Ghali. Sauf à imaginer que la justice espagnole puisse ouvertement se renier et se discréditer, elle n’aura d’autres choix que d’aller chercher le chef des milices du Polisario Brahim Ghali qui se cache dans la peau du citoyen algérien Mohamed Benbatouche.