L’image de Ryad et de son prince à l’épreuve de l’affaire Jamal Khashoggi

L’affaire Jamal Khashoggi, du nom du journaliste disparu depuis mardi après être entré au consulat saoudien à Istanbul, pourrait gravement affecter l’image du royaume et de son prince héritier, ainsi que les relations diplomatiques turco-saoudiennes, selon des experts.

Dernier rebondissement: la police turque estime que le journaliste saoudien, qui bénéficie d’une aura internationale en raison notamment de ses critiques contre le prince Mohammed ben Salmane, "a été tué au consulat par une équipe venue spécialement à Istanbul et repartie dans la même journée", selon une source proche du gouvernement turc.

Ryad a fermement démenti, le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré attendre les résultats d’une enquête et les experts interrogés par l’AFP ont incité à la prudence tant que les faits n’auront pas été confirmés.

Cependant, si c’était le cas, cette affaire explosive ternirait davantage l’image internationale de l’Arabie saoudite et de son prince héritier, qui cultive une réputation de "réformateur", notamment en Occident, tout en étant critiqué pour son "autoritarisme".

"MBS", 33 ans, dont l’ascension fulgurante a suscité un intérêt international, avait déjà fait l’objet de critiques en novembre 2017 quand le Premier ministre libanais Saad Hariri s’était retrouvé bloqué pendant deux semaines à Ryad.

Sa "poigne de fer" avait aussi été dénoncée lorsque des dizaines de personnalités saoudiennes, accusées de "corruption", avaient été enfermées au Ritz-Carlton après une vague d’arrestations éclair.

– "Difficile à avaler" –

Il avait de nouveau été vilipendé quand des défenseurs des droits de l’Homme et des féministes avaient été appréhendés en plusieurs vagues depuis juin, dégradant l’image positive née de mesures sociétales inédites, comme l’autorisation de conduire pour les femmes.

En août, le Canada avait en outre vu son ambassadeur expulsé en raison de critiques sur la situation des droits humains en Arabie saoudite, tandis que de grands pays occidentaux s’étaient tus, par crainte de perdre des contrats.

Cette fois, l’affaire Khashoggi aurait des répercussions majeures en Occident, avancent des experts et universitaires.

Selon Kristian Ulrichsen, elle ferait le jeu de ceux à Washington qui jugent que "l’Arabie saoudite sous MBS est sujette à des gambits apparemment imprudents, sans considérations pour les conséquences, que ce soit le blocus du Qatar, la détention de Hariri, la rupture avec le Canada, sans parler de la guerre au Yémen", objet de controverses depuis son déclenchement en 2015.

Pour Bessma Momani, de l’université Waterloo au Canada, en cas de mort confirmée, et si "les accusations contre l’Arabie saoudite tiennent, l’image du +réformateur+ prince héritier serait plus difficile à avaler, en particulier à Washington et dans d’autres capitales occidentales".

– Crise avec Ankara? –

L’analyste James Dorsey pense aussi que l’affaire Khashoggi aura des conséquences "sérieuses" à l’étranger.

Il cite en particulier les difficultés de l’Arabie saoudite au Yémen et le risque pour elle de voir des membres de Parlements dans divers pays se mobiliser davantage en faveur d’un boycott sur les ventes d’armes.

A Londres, le Foreign Office a déclaré travailler d’arrache-pied pour vérifier les accusations "extrêmement sérieuses" sur le meurtre de Jamal Khashoggi. Aux Etats-Unis, pays allié de Ryad, le département d’Etat a dit ne pas être en mesure de confirmer le sort du journaliste, ajoutant "suivre la situation de près".

L’affaire aura également de graves répercussions sur les relations avec Ankara, déjà dégradées depuis plus d’un an, relève M. Dorsey.

"Si les Saoudiens étaient liés à la mort de Khashoggi, cela provoquerait certainement une crise diplomatique" entre ces deux poids lourds du monde musulman, abonde Kristian Ulrichsen de l’Université Rice aux Etats-Unis.

Cet avis est partagé par Bessma Momani. "La Turquie affirmera que c’est un affront à sa souveraineté et l’Arabie saoudite montrera du doigt l’alliance Turquie-Qatar pour expliquer les accusations de la Turquie".

Ankara, qui partage avec Doha un soutien inébranlable à la confrérie islamiste des Frères musulmans, avait pris fait et cause pour le Qatar quand, le 5 juin 2017, l’Arabie saoudite et trois de ses alliés avaient rompu leurs relations avec ce pays en l’accusant de soutenir des "groupes extrémistes" et de se rapprocher de l’Iran.

Et les vues de M. Khashoggi, qui avait défendu les Frères musulmans, "ne sont pas si éloignées de celles" du parti au pouvoir en Turquie, un pays qui, par ailleurs, "ne peut tolérer que des gens soient tués par des agents étrangers" sur son sol, renchérit James Dorsey.

Outre le Qatar et les Frères musulmans, il cite également l’Iran comme pomme de discorde entre Ankara et Ryad, en particulier l’alignement saoudien sur la ligne dure de Washington.

Au final, vu la gravité de l’affaire Khashoggi, M. Dorsey "n’exclut pas" qu’elle aboutisse à une rupture des relations par le président Erdogan.

Côté saoudien, on se mobilise, à l’instar d’Ali Shihabi, de l’Arabia Foundation, qui invite la communauté internationale à "ne pas tirer de conclusions hâtives" sur l’affaire Khashoggi, en affirmant que "les Turcs ne sont pas une partie neutre".

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