L’avenir gazier du Mozambique sous la menace des islamistes

Sans le savoir, ils ont posé le pied sur un nid de guêpes. Les géants mondiaux du gaz surveillent avec inquiétude la récente vague d’attaques islamistes dans le nord du Mozambique, qui menace de perturber le coup d’envoi de leurs opérations.

Palmiers, plages de sable blanc et eaux turquoises, sur le papier glacé des dépliants publicitaires, le paisible village de pêcheurs de Palma, tout près de la frontière avec la Tanzanie, était destiné à devenir un paradis pour touristes.

Son destin a basculé à partir de 2010, lorsque des réserves gigantesques de plus de 5.000 milliards de m3 de gaz ont été découvertes au large de ses côtes.

Par l’odeur des pétrodollars alléchées, les plus grandes multinationales des hydrocarbures, comme les Américaines Anadarkon et Exxon ou l’Italienne ENI, ont débarqué à Palma sous l’oeil gourmand du gouvernement de Maputo, qui s’est pris à rêver de devenir le nouveau "Qatar de l’Afrique".

Son ambition est aujourd’hui menacée par un groupe de jeunes fondamentalistes musulmans qui, depuis quelques mois, s’est mis à semer la terreur dans la région.

En quelques semaines, ceux que la population locale appelle les "shabab" ("jeunes" en arabe) ont tué une quarantaine de civils et incendié des centaines d’habitations, jetant des milliers de villageois sur les routes de l’exode.

Jusque-là, les "majors" basées à Palma ont été épargnées par ces attaques. Mais elles redoutent d’en devenir la cible.

"Les questions de sécurité qui affectent le nord du Mozambique n’ont pas d’impact direct sur notre projet", assure-t-on chez ENI, "mais nous surveillons de près la situation".

Leurs investissements sont énormes. ENI a engagé 8 milliards de dollars pour sa plateforme d’extraction et de liquéfaction. Et Anadarko s’est dit prêt à mettre jusqu’à 20 milliards sur la table pendant la durée de vie de ses puits.

La menace islamiste est prise très au sérieux. Début juin, l’ambassade des Etats-Unis à Maputo a fait état de "probabilités d’attaques imminentes" sur Palma et recommandé aux citoyens américains de "quitter immédiatement la région".

"Nous traitons sérieusement toute menace à la sécurité de nos personnels", souligne-t-on au QG texan d’Anadarko, "c’est une source de préoccupation, nous avons pris nos dispositions".

"La sécurité privée a été augmentée", confirme une source proche de l’entreprise. "La police a installé un poste dans notre camp, mais ce n’était pas suffisant".

Pour l’heure, les entreprises étrangères ne semblent pas figurer sur la liste des cibles des "shabab".

"Les ambitions des islamistes restent d’abord locales et leurs armes sont encore très rudimentaires", remarque le chercheur Eric Morier-Genoud, de l’université de Belfast (Irlande du Nord), "une attaque directe contre les majors engendrerait une escalade dont ils sortiraient perdants".

De leur côté, l’armée et la police ont nettement musclé leur présence dans la province du Cabo Delgado. Elles surveillent routes et villages et multiplient les opérations de ratissage.

"Nous avons renforcé notre dispositif pour protéger les entreprises pétrolières et gazières qui travaillent dans la région et les populations", dit le chef de la police locale, Joaquim Sive.

Pour les autorités, le retour à l’ordre est une priorité absolue.

Englué dans une conjoncture économique molle, affaibli par un scandale de dette cachée à ses bailleurs, le gouvernement attend avec impatience ses premiers m3 de gaz.

Les plus optimistes de ses membres espèrent de cette manne qu’elle multiplie par sept le revenu par habitant d’ici 2035.

Longtemps retardés pour cause de faible niveau des cours des hydrocarbures, les premiers revenus gaziers significatifs doivent tomber dans les caisses de l’Etat en 2023, a récemment fait savoir le ministre des Finances Adriano Maleiane.

Pas question, donc, de laisser une poignée d’islamistes faire dérailler ces objectifs.

"Le conflit en cours dans le Cabo Delgado est très limité", affirme, sûr de lui, le gouverneur de la Banque centrale Rogério Zandamela. "A ce stade, nous estimons que le risque de ces attaques sur l’économie est insignifiant".

Le groupe ENI répète ainsi que la production de son champ off-shore "doit débuter en 2022", comme prévu.

N’empêche. Aux abois financiers, le gouvernement a dû prolonger en urgence au début du mois le permis d’exploration du groupe canadien Wentworth. Son calendrier avait pris du retard pour cause d’attaques islamistes.

"Notre demande était en partie motivée par la situation sécuritaire (…) qui empêchait l’accès sans danger au secteur", a reconnu sans faux-semblant l’entreprise.

Même si le calendrier annoncé des projets est tenu, la guérilla des "shabab" risque toutefois de peser sur les finances.

"Les contingences de sécurité vont à coup sûr rendre les investissements plus coûteux et réduire les revenus de l’Etat", anticipe Joao Pereira, de l’université de Maputo, auteur d’un rapport détaillé sur la menace islamiste.

La facture sociale du rêve gazier mozambicain pourrait elle aussi s’alourdir. Pour pacifier la région, la plus pauvre du pays, le gouvernement et les "majors" vont devoir mettre la main à la poche, avertissent les experts.

"Les +shabab+ semblent plus motivés par des revendications socio-économiques locales que par un islamisme pur et dur", note Ed Hobey-Hamsher, du centre d’analyses Verisk Maplecroft, "les groupes gaziers vont devoir faire un effort sur l’emploi pour gagner le soutien des populations locales".

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