L’Algérie construit des logements par millions mais ne sait pas concevoir une ville

Confrontée à l’explosion de sa population, l’Algérie a construit des millions de logements et veut faire d’Alger la première capitale africaine sans bidonville mais ces ensembles surgis à la va-vite, sans projet urbanistique, menacent de se transformer en ghettos.

Depuis son indépendance, le pays fait face à une forte pression démographique, avec une population passée de neuf millions d’habitants en 1962 à 40 millions en 2015. L’industrialisation dans les années 1970 puis la guerre civile dans les années 1990 ont poussé les habitants des campagnes vers les villes.

Le dernier exode rural a été à l’origine d’une "demande en logements vingt fois supérieure à l’offre", a expliqué en juin le ministre de l’Habitat, Abdelmadjid Tebboune. Les bidonvilles se sont alors multipliés aux abords des grands centres urbains.

Alléchées par les faramineux revenus pétroliers qui ont permis le lancement de grands travaux, des sociétés venues de Chine, de Turquie, du Portugal ou du Proche-Orient, se sont bousculées depuis le début des années 2000 pour remplacer ces bidonvilles par de grands ensembles.

Grâce à une enveloppe globale de 50 milliards de dollars (45,5 milliards d’euros), toutes les familles algéroises auront un logement et les paysages seront débarrassés de leurs hideux bidonvilles d’ici un an, a promis en juin Abdelmadjid Tebboune. "Fin 2015, Alger sera la première capitale maghrébine et africaine sans bidonvilles", promet le ministre.

– Un pari peu convaincant –

Selon le préfet Abdelkader Zoukh, la capitale a déjà été débarrassée "de 150 points noirs qui la gangrénaient". Il reste le plus important, à Semmar, dans la banlieue Est. Il compte 4.000 baraques appelées à être rasées cet été pour laisser place à un viaduc. Mais les habitants, interrogés sur place par l’AFP, sont sceptiques.

Le Premier ministre Abdelamalek Sellal a promis, quant à lui, de combler en 2018 le déficit national évalué à 720.000 logements. Avec le nouveau plan quinquennal (2015-2019) ce sera la fin de l’habitat précaire dans tout le pays, jure-t-il.

Le pari des responsables ne convainc pas l’architecte-urbaniste Akli Amrouche, directeur de la revue spécialisée Vie de Villes. "En l’absence d’un véritable projet de ville, il y aura toujours des bidonvilles à Alger", nuance-t-il. Selon lui, "on est en train de construire des cités dépourvues de toutes les commodités où l’habitant s’ennuie à mourir".

Ces cités ressemblent à des no man’s land, en l’absence de "transports en commun, d’équipements de loisirs et d’établissements scolaires", renchérit l’architecte-urbaniste Larbi Merhoum, plusieurs fois lauréat du prix national d’architecture. Ces grands ensembles vont devenir des "ghettos sociaux" où la délinquance va prospérer – comme c’est déjà le cas à Ali-Mendjeli, à Constantine, la grande métropole de l’est, estime-t-il.

– Guerre des gangs –

Cette cité dortoir de 150.000 habitants de modeste condition qui devrait à terme en accueillir 400.000, est devenue l’épicentre d’une guerre des gangs. Un ancien ministre l’a qualifiée de "catastrophe urbanistique", le Premier ministre Abdelmalek Sellal d’"exemple à ne pas suivre".

Les rixes à répétition "traduisent l’échec du modèle des politiques publiques en matière d’urbanisme", tranche M. Merhoum. "Nous réfléchissons logement au lieu de réfléchir ville", regrette-t-il.

L’Algérie a pourtant une riche et ancienne tradition en matière d’urbanisme. La Casbah d’Alger, suspendue entre ciel et mer, est un prodige architectural du Xe siècle classé au patrimoine mondial de l’Unesco.

Avec la colonisation, la capitale s’est enrichie d’élégants bâtiments de style haussmanien, néo-mauresque ou art déco. Nombre de ces joyaux sont toutefois dans un état de dégradation avancée.

"L’Etat, qui centralise la planification du logement, continue à construire dans l’urgence mais il ne dispose pas de capacités suffisantes pour atteindre ses objectifs", tempère aussi Bahia Kebir, enseignante en architecture à l’Université d’Annaba. Selon elle, "les retards s’accumulent, les bidonvilles se forment à nouveau ou ne se vident pas". "Au fil des années, des liens sociaux se tissent dans ces quartiers spontanés qui vivent en dehors de toute régulation et établissant même leurs propres règles".

Quand les habitants sont relogés, "ces règles se dissolvent dans les cités où les locataires viennent de partout et cela génère ces tensions que l’on connait à Ali Mendjeli et ailleurs", analyse-t-elle.

La nouvelle attractivité d’Alger, désormais dotée d’un métro et d’un tramway et élue par de nombreuses enseignes étrangères de prêt-à-porter, d’équipements de sport et de maison, apparaît comme un facteur aggravant.

"Alger est devenue une ville très convoitée où chacun veut vivre, quitte à habiter dans un premier temps dans un bidonville avant d’être relogé", observe Akli Amrouche.

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