Inquiétude et scepticisme de l’Union européenne face à Alger
De nombreux signaux émanant des institutions européennes à l’adresse du régime algérien laissent peu de place au doute: les pays de l’Union européenne affichent une inquiétude croissante face à un partenaire devenu imprévisible, dont les agissements sont jalonnés de ruptures, de provocations et de défiances assumées.
Dernier signal en date: l’Union européenne a engagé une procédure arbitrale contre l’Algérie, dénonçant «des restrictions au commerce et à l’investissement, contraires à l’Accord d’association» qui les lie. Le timing, tout comme les griefs formulés — visant à exposer les pratiques prédatrices et monopolistiques du marché algérien — donnent à cette démarche des allures de sanction à peine voilée. Alger a aussitôt réagi en contestant la légitimité de cette initiative, arguant qu’elle ne relève que du Conseil d’association UE-Algérie, lequel, symptôme des tensions actuelles, ne s’est pas réuni depuis cinq ans. En guise de riposte, le régime algérien tente aujourd’hui de s’accrocher à cette instance en réclamant en urgence sa convocation.
Ce positionnement européen vis-à-vis d’Alger ne fait que renforcer un faisceau de suspicions déjà bien ancré, nourrissant une défiance de plus en plus manifeste des autorités bruxelloises à l’encontre du régime algérien. Dernier jalon en date: l’approbation, à une large majorité, par le Parlement européen de l’inscription de l’Algérie sur la liste des pays à haut risque en matière de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme.
Cette perception européenne de l’Algérie étonne par son côté froid et méthodique. Sans crier gare, sans tourbillon médiatique, Bruxelles est en train de mettre le régime algérien au centre d’un cyclone médiatique dont il lui sera difficile de sortir indemne. Il convient de rappeler que cette position européenne à l’égard d’Alger n’est nullement fortuite. Elle résulte de l’accumulation de crises et de tensions avec des membres influents de l’Union européenne, tels que l’Espagne et la France. Si leurs réactions bilatérales ont parfois semblé discrètes au plus fort de ces différends, le ressentiment accumulé s’est finalement cristallisé dans une posture européenne commune, qui sonne aujourd’hui comme une addition algérienne à régler.
La crise algérienne avec l’Espagne, même si elle donne aujourd’hui l’impression de faire partie du passé, a profondément impacté les institutions européennes. Sans doute pour la première fois, un pays de la rive sud de la Méditerranée a déclenché une crise ouverte avec un membre de l’Union européenne, en mobilisant un arsenal de menaces, de chantage et de ruptures économiques. L’attitude d’Alger avait alors profondément choqué les opinions publiques européennes, d’autant plus lorsque ses véritables motivations ont été mises au jour: il s’agissait de sanctionner le gouvernement de Pedro Sanchez pour son soutien à l’initiative marocaine d’autonomie au Sahara atlantique.
Pour faire payer à Paris sa décision de reconnaître la marocanité du Sahara, Alger a multiplié les gestes hostiles, souvent teintés de ressentiment, parfois de représailles à peine dissimulées.
Aux yeux de Bruxelles, cette crise a mis en lumière l’immaturité et la fragilité politique du régime algérien, prêt à compromettre des équilibres régionaux majeurs pour satisfaire un esprit de revanche mal assumé. Le tort d’un pays comme l’Espagne? Avoir exercé sa souveraineté en se rapprochant du Maroc, dans l’intérêt de sa stabilité et de sa population. Faute de réaction immédiate, cette posture algérienne ne pouvait qu’entraîner, tôt ou tard, un retour de bâton européen.
La crise avec la France est un autre segment de cette perte de confiance généralisée entre les institutions européennes et le régime algérien. Pour faire payer à Paris sa décision de reconnaître la marocanité du Sahara, Alger a multiplié les gestes hostiles, souvent teintés de ressentiment, parfois de représailles à peine dissimulées. Parmi ces signaux, l’arrestation de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal a cristallisé un bras de fer politico-médiatique d’ampleur. S’y ajoute le refus quasi systématique de délivrer des laissez-passer consulaires, empêchant le rapatriement de migrants en situation irrégulière que la France souhaite expulser vers l’Algérie. Sur le sol français, cet activisme algérien prend deux formes: une première, politique, incarnée par des influenceurs qui alimentent tensions et confusion dans l’espace public; une seconde, plus préoccupante, à caractère sécuritaire, ciblant les opposants au régime. Cette dernière a d’ailleurs conduit à l’arrestation de diplomates algériens soupçonnés d’implication directe dans des opérations d’enlèvements et de terrorisme d’État.
Une des raisons qui expliquerait pourquoi l’Union européenne semble aisément libérer ses coups à l’égard du régime algérien est à trouver dans cette dégradation notoire de la relation entre Paris et Alger. Autrefois, la diplomatie française jouait un rôle de rempart discret mais déterminé en faveur du régime algérien, œuvrant dans les coulisses bruxelloises pour bloquer toute initiative de sanction ou de mise en cause. Paris agissait alors en protecteur zélé des intérêts algériens, au nom de liens historiques et d’intérêts stratégiques partagés. Mais cette époque semble révolue. Symbole d’un climat politique désormais tendu entre les deux capitales, la France a cessé d’endosser ce rôle de bouclier. Bien au contraire, Paris semble aujourd’hui accueillir favorablement l’éventualité d’une posture plus ferme de l’Union européenne à l’égard d’un régime qui, par ses ruptures successives et son isolement croissant, s’érige en facteur d’instabilité dans un environnement régional déjà sous tension.
