Hassi Messaoud, cité du viol (LE MONDE)
S’il existe un enfer pour les femmes, il est sur terre, et s’appelle Hassi Messaoud. Une ville pétrolifère du centre de l’Algérie, gardée comme un coffre-fort… Mais où l’on chasse les femmes en toute impunité.
Ce climat n’est pas.. nouveau à Hassi Messaoud. Il rappelle une nuit tragique. Celle du 13 juillet 2001. Ce soir-là, enfiévrés par le sermon d’un imam fanatique, près de 500 hommes fondent sur les maisons des femmes seules, qu’ils poignardent et violent aux cris d’"Allahou Akbar".
Le lendemain, une centaine de femmes martyrisées se réveillent à l’hôpital en sang. On leur accorde royalement un jour d’arrêt de travail. L’infirmière, pieuse et voilée, trouve qu’elles ne méritent pas mieux. Dans la mentalité patriarcale la plus arriérée, l’honneur repose entre les cuisses des femmes. La honte s’abat donc sur elles en même temps que le viol. Certaines ont toujours sur l’estomac un article du journal arabophone El Khabar, qui les a dépeintes comme des "prostituées".
Un livre vient enfin de leur rendre justice : Laissées pour mortes (Max Milo, 256 p., 18 €), de Nadia Kaci. Bouleversant et formidablement mené, il nous plonge dans l’exode de Rahmouna Salah et Fatiha Maamoura, parties vivre à Hassi Messaoud pour échapper à la malédiction patriarcale… Et qui finiront parmi les victimes de cette nuit d’épouvante.
En fait de "prostituées", les habitantes d’Hassi viennent des quatre coins du pays dans l’espoir de travailler pour les multinationales, comme Total ou Schlumberger. Veuves ou divorcées, elles fuient un mari violent, une famille qui les rejette. Elles croient tenir l’eldorado qui leur permettra d’élever leurs enfants, et elles échouent dans cette fournaise (60 °C à l’ombre). Leurs maigres salaires permettent tout juste de s’entasser dans des maisons de fortune. Exilées et précarisées, les voilà au coeur des fantasmes des gens du coin, mais aussi des sermons sur les "femmes seules". Il n’en faut pas plus pour les désigner à l’avidité d’hommes frustrés. Ceux-là ont visiblement pris goût au fait de se défouler sur le corps des femmes.
Pourquoi se gêner ? Le procès qui devait juger les bourreaux du 13 juillet 2001 n’a été qu’une parodie de justice. La plupart des avocats des victimes ont subi des pressions et se sont désistés. Seulement une vingtaine de violeurs ont été jugés et ils n’ont écopé que de peines par contumace. L’imam qui les a excités est toujours en place, dans une mosquée encore plus grande. D’autres continuent de prêcher contre les nouvelles arrivantes, qui finissent à leur tour violées. On parle même de deux femmes assassinées.
C’est le récit accablant paru mi-avril dans El Watan, le quotidien francophone algérien. Révoltées, des associations de femmes algériennes se sont réunies en comité de solidarité. Après avoir nié et crié au complot, les autorités locales ont dû consentir à organiser des rondes de police. Les femmes d’Hassi Messaoud retrouvent un semblant de sommeil. Mais ce calme précaire ne résout rien. Tant que l’impunité durera, les viols collectifs peuvent reprendre à tout moment.
Que font les multinationales présentes sur place ? Et le gouvernement algérien ? Lui qui disait soutenir les victimes en 2001, devant les caméras, avant de les abandonner à leur sort. Quand va-t-il mettre fin à ce code de la famille traitant les femmes comme des mineures ? Il est plus que temps de réfléchir à cette misogynie institutionnelle, qui légitime un sexisme endémique et nourrit d’un même sein la violence et l’intégrisme.
Caroline Fourest