Jean-Michel Severino : « Nord-Sud, il faut en finir avec le compassionnel »

Jean-Michel Severino :
Pour la dernière fois, Jean-Michel Severino a présenté, jeudi 22 avril, le bilan annuel de l’Agence française de développement (AFD), qu’il dirige depuis avril 2001. Avant de quitter ses fonctions – son successeur n’a pas encore été officiellement désigné -, il explique que l’aide au développement doit cesser d’être compassionnelle pour se mettre au service des pays du Sud, sans angélisme ni pessimisme.


Comment jugez-vous le montant de l’aide des pays de l’OCDE aux pays du Sud, qui a atteint 119 milliards de dollars en 2009 ?

Tous les commentateurs ont dit : "Bravo, mais insuffisant." A l’AFD, nous ajoutons que ce n’est pas l’aide qui compte pour corriger les déséquilibres mondiaux, mais son financement.

Si nous avons augmenté de façon fulgurante nos activités en 2009, soit + 45 %, c’est que les capitaux privés ont fait défaut, par exemple pour financer l’extension du port du Cap en Afrique du Sud ou le transport des phosphates marocains par pipeline plutôt que par rail.

Le grand public n’a-t-il pas du mal à comprendre que l’aide doit prendre la forme d’investissements ?

Ce qui intéresse les pays en développement, ce n’est pas qu’on leur creuse des puits, mais qu’on leur apporte les moyens financiers de leur croissance. Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans le caritatif.

Nos interlocuteurs africains nous disent : "Vos obsessions en matière de social et de bonne gouvernance, c’est votre histoire. Gardez vos bonnes soeurs et vos donneurs de leçons. Les Chinois nous financent, eux, sans a priori. Nous voulons seulement croître." Ils demandent en priorité qu’on les aide à se doter en infrastructures et à faire du business. Cela ne veut pas dire que l’investissement dans le capital humain est anecdotique mais, si ces pays gagnent en croissance, ils pourront consacrer à la santé ou à l’éducation de nouvelles ressources budgétaires.

A quelles conditions ce processus vertueux peut-il s’enclencher en Afrique ?

A condition que les Africains comprennent que l’environnement n’est pas une affaire de Blancs. Eux aussi ont des problèmes d’émissions de carbone et s’ils veulent converger dans ce domaine avec le reste du monde, il faut qu’ils trouvent des chemins cohérents pour concilier croissance et environnement.

D’autre part, il faut que leur pratique des affaires soit saine éthiquement et économiquement, c’est-à-dire sans trafics d’armes ou de drogue. Enfin leur croissance doit être socialement équilibrée et mieux répartie, parce qu’elle ne fait pas assez vite reculer la pauvreté qui demeure gigantesque sur ce continent.

Quels sont les ennemis du développement ?

D’abord l’excès d’ambition. Croire que l’aide publique peut résoudre les problèmes de la planète conduit à l’échec et au désespoir. Le développement est un travail de chaque société sur elle-même. L’autre obstacle, ce sont les politiques publiques mal conduites. Prenons le cas de l’énergie. Dans la plupart des pays pauvres, elle est subventionnée, mais seuls 10 % de la population y bénéficie de l’électricité. Cette subvention avantage les énergies fossiles et empêche l’hydroélectricité ou la géothermie, plus chères au départ.

Pour en finir avec les coupures de courant et étendre le réseau, il faudrait supprimer les subventions qui interdisent toute rentabilité et font fuir les investisseurs.

Quelles relations le Nord doit-il établir avec les pays du Sud ?

Abandonnons tout angélisme. Ils sont à la fois victimes, causes et solutions de leurs difficultés. Développons nos politiques d’aide en fonction de leur diversité : avec les émergents, partageons les questions climatiques ; avec les Méditerranéens, cogérons notre espace commun et rééquilibrons les revenus ; avec les Subsahariens, faisons en sorte que leur poussée démographique ne soit pas une source de conflits, mais un formidable atout.

Bâtissons une maison commune en finissant avec les rapports de force comme avec le compassionnel et en sachant signer des chèques pour les bonnes causes.

Propos recueillis par Alain Faujas

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