En Syrie, nous devons avancer (Fabius)


Par Laurent Fabius Ministre des Affaires étrangères

En Syrie, nous devons avancer (Fabius)
Plus de 70 000 morts et d’un million de réfugiés, la destruction systématique d’un pays : le deuxième anniversaire du déclenchement de la révolution syrienne est un anniversaire de sang et de larmes. Les milices du régime frappent indistinctement hommes, femmes, enfants. Les corps ensanglantés, allongés sur des lits d’hôpitaux, de trois enfants – 7, 9 et 11 ans – tués par un tir de missile sur le village d’Abou Taltal, dans la province d’Alep, sont devenus un des symboles de ce peuple qu’on assassine. Ceux qui survivent voient disparaître leur passé et leur avenir, anéantis par la mécanique meurtrière d’un clan. L’antique cité de Homs, «capitale de la révolution», assiégée depuis plus de huit mois par l’armée du régime, n’est plus qu’un champ de ruines. L’eau, l’électricité, les médicaments, la nourriture manquent. Tout un peuple est pris en otage par un dictateur qui bombarde, torture, assassine, avec pour seul objectif sa propre survie.

Depuis le début, le gouvernement français est solidaire de la révolution syrienne. Sur le plan humanitaire, comme sur le plan politique, nous avons pris nos responsabilités et, plus que d’autres sans doute, notre part du fardeau, dans un contexte où une intervention directe terrestre en Syrie n’était et n’est toujours pas praticable. Notre aide humanitaire aux populations civiles atteint plusieurs dizaines de millions d’euros, auxquels s’ajoute notre quote-part de l’aide européenne. Nous avons été pionniers dans l’aide directe aux conseils révolutionnaires civils et aux réseaux locaux de solidarité. Comme beaucoup, face au drame humanitaire et au scandale de cette répression sanguinaire, j’aurais, nous aurions voulu faire davantage. Mais l’action de l’opposition et la mobilisation de tous ceux qui la soutiennent permettent de garder espoir. A condition qu’on admette que le moment est venu d’avancer pour passer à une nouvelle étape.

Il est aujourd’hui largement reconnu que Bachar al-Assad n’aura personnellement plus sa place dans la Syrie de demain, y compris par ceux qui avaient jusqu’ici soutenu son régime en invoquant l’absence d’alternative crédible. Dorénavant, celle-ci existe. Depuis novembre 2012, la Coalition nationale syrienne s’est structurée – nous avons été les premiers à la reconnaître. Son président, Moaz al-Khatib, s’est révélé être un chef courageux et un leader à l’écoute du peuple syrien et de ses souffrances. Il n’a pas hésité à tendre la main à certains adversaires pour tenter de mettre fin à cette boucherie. Pour l’instant, Bachar al-Assad a répondu par un surcroît de bombardements et en posant des conditions inacceptables. Mais l’offre politique de la Coalition est toujours présente : un chemin peut se dessiner en vue d’une solution politique pour sortir la Syrie du chaos.

La Coalition nationale travaille également à la formation d’un gouvernement provisoire ayant autorité sur les zones libérées, même si des divergences doivent encore être surmontées pour aboutir. Sa Constitution représentera une nouvelle étape vers une solution politique en vue d’une Syrie unie, pacifique, démocratique, où toutes les communautés auront leur place. La France soutiendra l’action de ce gouvernement s’il est constitué, ainsi que le président de la République l’a indiqué dès août 2012.

Mais le processus politique risque de rester bloqué si la situation sur le terrain n’évolue pas. Or, à ce stade, le combat du peuple syrien pour la liberté est terriblement inégal. Le régime de Bachar al-Assad – qui dispose en outre d’armes chimiques – est ravitaillé en armes puissantes et en munitions par Téhéran et Moscou. L’opposition, elle, ne dispose pas des moyens suffisants pour protéger la population.

L’offre de négociation de la Coalition nationale ne sera prise au sérieux par Bachar al-Assad que s’il n’a pas d’autre choix. Pour qu’une solution politique prenne réellement corps, la Coalition ne peut pas continuer à se battre à armes inégales.

En ce deuxième anniversaire, nous devons tirer toutes les conséquences de cette situation. Un consensus international croissant reconnaît notre responsabilité dans la protection des populations civiles. Nous devons aller plus loin et permettre au peuple syrien de se défendre contre ce régime sanguinaire. Il nous revient d’aider par tous les moyens la Coalition, son état-major et l’Armée syrienne libre (ASL). Sinon, la tuerie continuera, sans autre issue probable que le renforcement des groupes les plus extrémistes et l’effondrement de la Syrie. Avec des conséquences ravageuses pour ce pays et toute la région.

Nous devons convaincre nos partenaires, notamment en Europe, que nous n’avons désormais plus d’autre choix que de lever l’embargo sur les armes, en faveur de la coalition. Sur le plan international, la France a été la première à soutenir à chaque étape la cause du peuple syrien. Elle doit l’être également en ce moment charnière. L’embargo européen sur les armes partait d’une idée généreuse : ne pas ajouter des morts aux morts, et des combats aux combats. Mais, aujourd’hui, cet embargo se retourne contre ceux qu’il avait l’ambition de protéger : il ne contraint pas ceux qui livrent des armes au régime Assad et il empêche de soutenir ceux qui luttent légitimement contre lui. Les modalités de cette levée de l’embargo sont à définir en urgence. C’est lorsqu’il mesurera qu’il ne peut survivre par la force des armes que Bachar al-Assad bougera ou que la situation bougera sans lui.

Reste à traduire rapidement ce constat en actes pour mettre fin aux souffrances du peuple syrien : c’est cela, avancer.

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