Djezzy-OTA et l’Etat algérien : un feuilleton égyptien à rebondissements

De quelle marge de manœuvre dispose réellement le groupe égyptien Orascom Telecom Holding (OTH) face au diktat de l’Etat algérien qui souhaite racheter la totalité des parts de la filiale algérienne du groupe, l’opérateur télécoms Djezzy ?

Djezzy-OTA et l’Etat algérien : un feuilleton égyptien à rebondissements
Rappelons succinctement les faits. L’opérateur égyptien OTH avait annoncé son intention de se séparer de plusieurs filiales africaines et était entré en négociation avancée avec la multinationale sud-africaine MTN. Apprenant que le périmètre des cessions incluait la filiale algérienne Orascom Telecom Algérie (OTA), qui détient la marque commerciale Djezzy, le gouvernement algérien prenait très mal la chose et s’opposait catégoriquement à la vente, annonçant même qu’il était prêt à racheter OTA.

Avec une part de marché de la téléphonie mobile de 59,4% en 2009, plus de 14 millions d’abonnés pour un chiffre d’affaires de 1,87 milliard d’US$, Djezzy suscite bien des convoitises. Les autorités algériennes avaient laissé transparaître leur agacement dès juillet 2008, via la voix du chef de l’Etat, M. Abdelaziz Bouteflika s’attaquant violemment à OTH et ouvrant la voie aux hostilités.

Depuis, les relations entre l’Etat algérien et OTH se sont plus que dégradées. Le 11 avril 2010, OTA a dû s’acquitter d’un redressement fiscal record de 113 millions d’US$, première tranche d’un redressement encore plus onéreux, qui s’élèverait à près de 600 millions d’US$, concernant les exercices comptables sur la période 2005-2007. Par ailleurs, la notoriété de Djezzy allait souffrir des violents incidents survenus en marge des matchs de qualification pour la Coupe du monde de football.

C’est ainsi que de nombreux supporters algériens ont saccagé des agences de Djezzy dans plusieurs grandes villes du pays en novembre 2009. Djezzy estime avoir perdu environ 100 000 abonnés, sa part de marché reculant de 5,3% en 2009. De surcroît, un autre contentieux oppose l’Etat algérien et Orascom, depuis la cession par ce dernier de deux cimenteries algériennes à Lafarge, qui aurait été réalisée à l’insu des autorités…

Le projet de vente à NTM se trouve donc sous le feu conjoint des pouvoirs publics algériens. Le 3 mai, le ministre de la Poste et des Technologies de l’information et de la communication, Hamid Bessalah montait au créneau en déclarant notamment : « Ce qui est demandé et exigé, c’est que les propriétaires d’Orascom Telecom Algérie se rapprochent des autorités algériennes en premier lieu pour (que soient) mis en œuvre les droits de préemption et les dispositions du cahier des charges qui prévoient que tout changement de propriétaire en matière de licence doit s’effectuer avec l’autorisation de l’ARPT (régulateur télécoms algérien) ».

Pour contrer le bellicisme de l’autorité de tutelle et tenter de calmer le jeu, M. Naguib Sawiris, P-dg d’OTH déposait une demande d’audience auprès Premier ministre algérien, M. Ahmed Ouyahia. Une demande restée sans réponse. Le ministre des Finances, M. Karim Djoudi embrouillait encore plus la situation, déclarant n’avoir vu « ni formations, ni volonté affichée d’OTH quant à la cession de Djezzy à l’Etat algérien », alors que les dirigeants d’OTH déclaraient avoir envoyé une lettre au gouvernement algérien leur signifiant leur souhait d’entrer en négociation pour la vente de Djezzy !
Pourquoi une telle partie de poker menteur ? Sans doute en raison de la valorisation de Djezzy-OTA, qui approcherait les 5 milliards d’US$, un montant que l’Etat algérien n’est visiblement pas prêt a débourser ! D’où l’idée d’une nationalisation déguisée, à laquelle s’ajoutera un prélèvement fiscal à hauteur de 20% sur les plus-values… Les experts reconnaissent que les arguments algériens, axés autour du droit de préemption, n’auront que peu de valeur devant une cour d’arbitrage internationale.

Mais l’Etat algérien est en mesure d’harceler efficacement OTH, par une série de mesures de rétorsions fiscales, juridiques, réglementaires, quitte à affecter la valorisation de l’opérateur. Dans un premier temps, l’objectif était de bloquer la vente à NTM. Il semble que ce soit chose faite, du moins c’est ce que prétend le ministre des Affaires étrangères, M. Mourad Medelci, qui a déclaré : « Il est à présent admis que, s’agissant d’Orascom, la page est tournée avec l’Afrique du Sud ». A quand le prochain rebondissement de ce bras de fer réglementaro-financier ?

Rappelons enfin que le groupe Orascom Telecom, dirigé par le milliardaire égyptien Naguib Sawiris, est lui aussi coutumier des conflits d’intérêts et actionnariaux et des batailles judiciaires de long terme. En Egypte, un conflit titanesque oppose en effet Orascom Telecom Holding à France Telecom (FT), qui prend là encore les allures d’un véritable feuilleton à l’égyptienne. L’opérateur français, qui détient 51% de la holding Mobilnil, elle-même propriétaire de 51% de ECMS (Egyptian Company for Mobile Services), souhaite lancer une offre publique sur le flottant de 29% du capital coté à la Bourse du Caire et faire jouer une clause de préemption lui permettant de racheter une participation directe de 20% détenue par OTH.

L’enjeu est d’importance, car ECMS est le premier opérateur télécoms égyptien, détenant 48% du marché égyptien et captant plus de 21 millions de clients. Bien qu’ayant obtenu satisfaction devant la cour d’arbitrage de la chambre de commerce internationale, FT se voit contrer par une cascade de procédures devant la justice égyptienne, dans lesquelles le groupe français se trouve aujourd’hui engluées…

Didier Lacaze, analyste financier SFAF

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