Il est vrai qu’indépendamment de cette situation spécifique, les britanniques, par tempérament, par culture et par cette idée presque atavique de rester dans le large, auraient pu valider le divorce avec les institutions européens. Les reproches qu’une certaine élite comme certaines franges de l’opinion britannique ne manquaient pas de pertinence et de réalisme. Ces charges et ces critiques, souvent très justifiés des pratiques de la maison commune européenne, servaient même de matériaux idéologiques pour nourrir les courants europhobes du vieux continent. Mais cela était loin de faire pencher la balance de manière aussi forte vers le divorce et le rejet de l’union.
Il a fallu donc un élément nouveau, d’actualité et de circonstances, suffisamment puissant pour arracher l’adhésion à ce rêve inédit des pays européens engagé dans le processus de l’Union, reprendre sa liberté de décision, reconstruire une souveraineté nationale, ce que certains n’ont pas hésité à décrire comme le grand saut dans le vide. Cet élément nouveau, c’est la gestion catastrophique de la techo-structure bruxelloise de toutes ses vagues de réfugiés qui ont été jetées sur les territoires européens par la porte des Balkans, le passage via la Turquie ou les ports libyens. Le grand couac franco-allemand sur le sujet avait nourri toutes les suspicions face aux capacités de discernement et de management du pilote européen. Le deal historique signé entre Bruxelles et Ankara donnait cette vague impression que non seulement L’union Européenne sous-traitait sa sécurité à la Turquie, avec des concessions majeures, mais renforçait aussi l’emprise d’un homme, Racep Tayeb Erdogan dont les jeux troubles sont sources de grandes inquiétudes.
Il y a une vidéo produite par l’Etat Islamique dans laquelle l’organisation menaçait ouvertement le gouvernement italien de laisser envahir Rome par des vagues de réfugiés : "Si vous engagez des forces armées en Libye, nous vous envoyons 500.000 migrants", disait l’homme de la vidéo qui s’apprêtait, sur fond bleu azur, à commettre l’innommable avec l’assassinat de 21 coptes égyptiens. La menace fut prise au sérieux. Un journal italien écrivait l’époque :" Les djihadistes émettent l’hypothèse d’envoyer à la dérive direction l’Italie, des centaines de barques remplies de migrants, dès le moment où notre pays évoquerait une intervention armée en Libye".
Y-a-t-il donc une relation de cause effet entre entre le Brexit et l’essor des populismes en Europe et cette stratégie de la terreur et de la déstabilisation par le biais des déplacements de populations vers les territoires européens endossée publiquement par des organisations terroristes ? Sans aucun doute. La relation existe ne serait-ce que dans la capacité de ces événements, terrorisme et vagues de réfugiés, à créer une atmosphère de doutes, de replis identitaires, voire de grandes confrontations communautaires.
A un tel point qu’un grand ponte du renseignement, Patrick Calvar, patron de la DGSI, n’hésite pas parler de la France comme d’un pays au bord de " la guerre civile". Avec cet argument à la fois au niveau de la formulation crue et qui fait froid dans le dos:" Les extrémismes montent partout et nous sommes, nous, services intérieurs, en train de déplacer des ressources pour nous intéresser à l’ultra-droite qui n’attend que la confrontation (…) Je pense qu’elle va avoir lieu. Encore un ou deux attentats et elle adviendra. Il nous appartient donc d’anticiper et de bloquer tous ces groupes qui voudraient, à un moment ou à un autre, déclencher des affrontements intercommunautaires". A noter que l’affrontement communautaire est le fantasme absolue d’organisations terroristes comme Daesh dont le rêve et la stratégie est de dresser les uns contre les autres pour pouvoir prospérer sur le chaos de cette "guerre civile" évoquée par Patrick Calvar.
Par Mustapha Tossa