Avec un ancien guérillero de gauche à la tête du pays, la Colombie inaugure un nouveau chapitre politique
Le leader du Pacte Historique, Gustavo Petro, qui a fait du changement un slogan de campagne, a néanmoins reconnu à plusieurs reprises que le chemin ne sera pas aisé et qu’il était conscient qu’il ne pourra pas faire cavalier seul.
En effet, Petro représente une multiplicité de tendances idéologiques, politiques et sociales regroupées sous la bannière du Pacte historique qui l’a porté au pouvoir. Bien qu’irréprochable, la courte marge avec laquelle il a remporté la présidence (2022-2026) montre la forte polarisation dans le pays et l’immensité de ce changement voulu dans l’unité nationale, explique dans une interview à la MAP Henry Amorocho Moreno, professeur à la Faculté de Jurisprudence – Université de Rosario de Bogotá.
Il faut dire que la peur que Petro a suscitée dans une grande partie de l’électorat s’est transformée en une expectative avec l’espoir que son gouvernement entreprenne certaines des réformes structurelles dont le pays a besoin dans les domaines politique, économique et social.
Les premiers pas de Petro en tant que président élu sont allés dans ce sens, à commencer par son appel à l’unité nationale, qui a été entendu par pratiquement tous les partis, y compris un secteur de l’Uribisme (du nom de la doctrine politique de l’ancien président Álvaro Uribe) qui lui garantit la majorité au Congrès pour concrétiser les changements promis durant la campagne.
Or, l’idée d’un gouvernement d’union avait déjà été évoqué il y a quatre ans par le président sortant, qui lors de son investiture, avait proposé « un grand pacte pour la Colombie » dans lequel « les choses qui nous unissent sont au-dessus des différences », mais cela n’est pas allé au-delà des bonnes intentions.
M. Henry Amorocho estime que « dans un pays comme la Colombie, qui a une démocratie solide et des institutions et qui maintient toujours le contrepoids des pouvoirs publics, on s’attend à ce que le nouveau président conduise un sérieux processus de compromis ».
Il s’agira « d’une vision de centre-gauche sous une couverture social-démocrate, mais pas forcément une gauche proprement dite », a-t-il insisté.
Pour l’expert colombien, le principal défi de Petro sera de sortir de la situation socio-économique difficile que traverse la troisième puissance sud-américaine. « La priorité est de présenter, d’examiner et d’approuver la réforme fiscale structurelle qui permet de combler l’encombrant déficit budgétaire (5,6% du PIB).
Selon le ministère des Finances, en 2019, le pays a atteint le plus lourd déficit budgétaire primaire en sept ans. Après l’accalmie observée pendant la pandémie, il a été multiplié par trois, alors que la dette publique a augmenté de 15%.
Au plan de la politique étrangère, l’universitaire estime que le prochain président devrait garantir l’équilibre entre des relations saines avec les Etats-Unis, un allié important de Bogota, tout en allant de l’avant dans son projet de réconciliation avec des pays comme le Venezuela, dont les gouvernements sont proches de son idéologie politique.
L’autre grand chantier, ajoute-il, sera la résolution des conflits endémiques en Colombie. Petro a promis une réforme de l’armée et de commencer son mandat par les négociations de paix avec guérillas et narco-trafiquants.
En rupture avec les idées les plus radicales, Petro s’est tourné vers une idée centrale pour son gouvernement : un pacte national unissant la majorité des Colombiens.
Ainsi, dans son gouvernement, il a notamment choisi des figures de premier plan comme le conservateur Álvaro Leyva au ministère des Affaires étrangères, un homme expérimenté dans les négociations de paix, ou la libérale Cecilia López à la tête de l’Agriculture, qui aura devant elle la vaste tâche de la réforme agraire tant promise et si peu accomplie en Colombie.
Petro s’est également assuré une majorité au Congrès, avec le soutien de diverses factions politiques, ce qui lui permettra de mener les principales mesures qu’il souhaite entreprendre, comme la réforme fiscale avec laquelle il entend lever plus de 11 milliards de dollars.
Gustavo Petro sera investi officiellement nouveau président de Colombie ce dimanche lors d’une cérémonie sur la Plaza de Bolívar, au cœur de Bogotá, à laquelle assistera notamment le roi Felipe VI d’Espagne, ainsi que d’autres chefs d’Etat de la région.
Selon l’universitaire colombien, malgré les bons auspices que semble avoir son gouvernement, Petro devra faire face à partir de la semaine prochaine à la lourde tâche de répondre aux énormes attentes que son élection a suscitées, dans un contexte de crise économique mondiale qui risque de plomber ses initiatives sociales.