Anne Giudicelli : Ben Laden mort physiquement mais toujours vivant en tant que référence d’Al-Qaïda
Spécialiste du monde arabe et musulman, auteur de plusieurs ouvrages sur le terrorisme, dont ‘’Le risque anti-terroriste’’, Anne Giudicelli, directrice de « Terrorisc », analyse pour Atlasinfo les dessous et les conséquences de la disparition du leader d’Al-Qaïda, Oussama Ben Laden.
Anne Giudicelli : Je ne le crois pas quoique sa mort ait été vécue partout dans le monde comme une victoire contre le terrorisme. Pour les occidentaux et le monde arabo-musulman, le combat n’est pas fini. Mais pour la mouvance radicale, son leader est mort physiquement mais toujours vivant en tant que référence et fondateur d’Al-Qaïda et de son idéologie radicale. Il est donc déjà devenu immortel.
Atlasinfo : Mort, le leader d’Al-Qaïda est devenu encore plus utile à la cause terroriste ?
-A.G : L’idéologie radicale est bien ancrée chez les adeptes de Ben Laden. Sa mort ne changera pas grand-chose. Ses successeurs vont certainement porter la mémoire de leur cheikh qui restera dans tous les cas immortel aux yeux des activistes et partisans d’Al-Qaïda.
Atlasinfo : L’inquiétude reste donc de mise face au risque de représailles notamment au Moyen-Orient et au Maghreb..
-A.G : Le terrorisme est un phénomène global. Il ne frappe pas seulement dans les régions du Moyen-Orient et du Maghreb. Ensuite les réseaux sont aujourd’hui dispersés au niveau régional. Ils ont donc une autonomie de décision qui fait qu’Al-Qaïda centrale représentée par Ben Laden, n’a pas forcément de lien direct opérationnel avec les activistes régionaux. Il faut maintenant attendre la position officielle de l’organisation à travers ses figures emblématiques comme Aymane al-Zawahiri ou d’autres pour savoir comment les groupes locaux et régionaux vont agir.
Atlasinfo : La mort de Ben Laden risque donc d’accélérer la menace terroriste.. ?
-A.G : J’avoue que pour moi, la disparition du leader d’Al Qaïda ne constitue pas forcément un événement d’importance quand à la continuité de cette idéologie radicale. A la limite le printemps arabe est beaucoup plus un facteur d’arrêt ou de réduction de la menace terroriste que l’assassinat d’Oussama Ben Laden.
Atlasinfo : Vous voulez dire que l’élan démocratique dans le monde arabe peut contrecarrer ce mouvement radical ?
A.G : Absolument. L’objectif des populations arabes, à commencer par la Tunisie puis l’Egypte et d’autres pays en pleine effervescence, était de faire tomber les régimes qu’ils considéraient illégitimes et oppressifs, et d’instaurer la démocratie, seule capable à même de garantir la paix et le développement. Si les populations arabes arrivent donc à mener à terme leurs révolutions, alors pour moi ce serait un affaiblissement considérable pour l’idéologie Al-Qaïda.
Atlasinfo : La mort de Ben Laden intervient alors qu’un attentat terroriste a touché la ville de Marrakech. Quelle marque porte-t-il à votre avis ?
-A.G : L’hypothèse que l’attentat porte la marque d’Al Qaïda est la plus privilégiée pour l’instant. Mais moi je préfère rester prudente tant que les enquêtes ne sont pas finalisées.
-A.G : La vidéo d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) est en réalité un extrait d’une longue vidéo réalisée en mai 2007 et diffusée à l’été 2007. On y voit cinq hommes armés dont l’un, masqué mais présenté comme Abou Abderrahmane Al-Maghribi, dénonce les conditions de détention des islamistes. C’est une vidéo de propagande classique d’Al Qaïda. L’extrait ne contient pas la date de fabrication du film, comme c’est le cas dans d’autres passages du document originel. Il y a eu une volonté de prendre un extrait pour probablement peser sur les investigations et essayer de valider l’hypothèse que ce serait Aqmi qui est derrière. C’est une possible manipulation pour peser sur l’ouverture initiée par le roi Mohammed VI dans sons discours de 9 mars.
Atlasinfo : Que cherchaient les terroristes au juste ?
-A.G : En visant un café au cœur de la Place Jamaa el-Fna, lieu de prédilection pour les Marocains et les touristes étrangers, la mouvance signe un double message. Un premier pour l’Etat engagé dans de grandes réformes politiques initiées par le roi Mohammed VI, et un second en direction de ce qui est perçu par Al-Qaida comme ses alliés et ses soutiens occidentaux.