Algérie : quels enjeux pour la présidentielle?

Malgré le refus tenace de la rue, le pouvoir intérimaire algérien a fixé au 4 juillet la présidentielle devant désigner un successeur à Abdelaziz Bouteflika. Quels sont les enjeux de ce scrutin dont le pays semble ne pas vouloir?

Pour le pouvoir, organiser cette élection dans un délai de trois mois, prévu par la Constitution algérienne, permet d’assurer la continuité des institutions et la stabilité de l’Etat.

Pour la rue, c’est surtout un moyen pour le "système" de se maintenir au pouvoir, malgré le départ du président Abdelaziz Bouteflika.

La contestation estime que les lois et les institutions du pays ne garantissent pas une élection libre. Le code électoral est effectivement favorable au pouvoir et aux partis du "système".

De plus, les listes électorales ont été dressées en début d’année par les institutions du régime, en vue de la présidentielle initialement prévue le 18 avril, ce qui les rend douteuses aux yeux des manifestants. Et de nombreux électeurs ne se sont pas inscrits, puisque alors Abdelaziz Bouteflika semblait se diriger tout droit vers un 5e mandat à l’issu d’un scrutin verrouillé.

Par ailleurs, c’est le ministère de l’Intérieur qui est chargé de mettre en oeuvre cette élection. Or, son rôle dans l’organisation de la fraude lors des précédents scrutins a déjà été pointé du doigt par l’opposition et la rue.

Le Premier ministre Noureddine Bedoui –ministre de l’Intérieur de M. Bouteflika jusqu’à sa nomination comme chef du gouvernement– a bien promis une Commission électorale indépendante, mais qui en fera partie?

"Nous ne savons rien de cette instance: qui la composera, ses prérogatives, son degré d’autonomie, sa crédibilité", explique Louisa Dris-Aït Hamadouche, professeur de sciences politiques à l’Université d’Alger.

Le pouvoir algérien va probablement tenter de trouver une personnalité capable d’incarner –au moins symboliquement– un changement et un rajeunissement, et qui présentera aussi des garanties sur la pérennité du régime et l’avenir de ses personnalités historiques.

Mais, pour l’instant, les candidats capables d’incarner un renouveau ne se bousculent pas pour prendre part à un système rejeté par une vaste majorité de la population.

Côté opposition, la dilemme sera de choisir entre participation et boycott. Les partis de l’opposition politique, marginalisés par une contestation dans laquelle ils n’ont aucun rôle et aucune prise, ne semblent pas prêts à aller vers un scrutin dont ils ne peuvent garantir la régularité.

Toutefois, les divergences au sein de l’opposition –historiquement divisée– pourraient conduire certains partis à s’engager, de peur d’être isolés.

Sans compter que le boycott pourrait exclure l’opposition d’un jeu politique qui se résume désormais à une confrontation entre le "système" et la contestation.

Et dans l’éventualité où l’opposition décidait finalement de s’engager, serait-elle capable de présenter un candidat unique? Rien n’est moins sûr…

Du côté du mouvement populaire, il n’est ni structuré ni incarné et il semble de toute façon exclu qu’il présente un candidat à un scrutin qu’il rejette.

"Le prochain enjeu pour ce mouvement est sa structuration", estime Louisa Dris-Aït Hamadouche.

Mais selon Rachid Grim, enseignant en sciences politiques à l’Institut supérieur de gestion et de planification (ISGP), "ce n’est pas pour demain et trois mois". Le délai est trop "court", juge-t-il.

Le régime souhaite faire de cette présidentielle une source de légitimité pour le nouveau président élu. Mais il risque de se heurter à deux obstacles majeurs.

Le premier est un éventuel boycott de l’opposition: les petits partis habituellement appelés à jouer les utilités lors des précédentes élections ne suffiront pas à donner de la crédibilité au scrutin.

Le deuxième obstacle est la participation, dans un pays où elle est traditionnellement faible: lors de la présidentielle de 2014, elle était de 50% à peine, un chiffre que certains observateurs estiment artificiellement surévalué.

Pour Mme Dris-Aït Hamadouche, "on peut dire, sans risque de se tromper, que si l’élection est organisée dans ces conditions, l’abstention sera encore plus forte", ce qui priverait le nouveau chef de l’Etat d’une légitimité réelle.

"La rue va trancher", estime Mahrez Bouich, professeur de philosophie politique à l’université de Bejaia. Ce "vendredi sera un référendum populaire".

De fait, une mobilisation massive jusqu’au scrutin pourrait rendre extrêmement délicat pour le pouvoir l’organisation de cette présidentielle.

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