Alger ouvre les bras à une université populaire créée par des catholiques

« Voyage vers l’autre et l’ailleurs », « La fabrique des mythes »: les Algériens peuvent désormais avoir accès à un type de savoir et d’enseignement alternatif grâce à une université populaire qui est gérée, fait singulier, par un organisme catholique.

L’"Université pour tous", dont les cours sont dispensés depuis le 5 mars à Alger, est à l’image des universités populaires en Europe, gratuite et ouverte à tous.

Au premier cours, assuré par une professeure d’archéologie de l’université d’Alger, Yasmina Chaïd Saoudi, l’auditoire surprend par sa diversité.

Ici, une retraitée péruvienne, ancienne interprète fascinée par les questions liées à la mort, là un groupe d’étudiants en préhistoire venus écouter une sommité de leur champ d’étude. Au premier rang s’est assis un médecin trentenaire rêvant d’entreprendre un doctorat en archéologie biologique en France.

Au fond de la salle, un retraité essuie ses yeux embués de larmes. "J’ai arrêté les études en primaire. Assister à un cours comme ça, c’est inimaginable pour moi", se réjouit-il.

"Ce que nous voulions, c’était créer quelque chose qui soit accessible à tout le monde, avec ou sans bac, aux retraités comme aux étudiants", explique Saadia Gacem, responsable de la communication de l’université.

L’établissement, où sont inscrits 273 étudiants, se veut un "lieu d’échange" des savoirs universitaires en sciences humaines "favorisant l’esprit critique", selon son site internet.

Il se penche cette année sur cinq grands thèmes: "Voyage vers l’autre et l’ailleurs", "La fabrique des mythes", "La ville dans tous ses états", "Guerres et paix" et "Courants de pensée".

Si la structure est entièrement financée et hébergée par le Centre d’étude diocésain des Glycines, un organisme dépendant de l’archevêché d’Alger, le père Guillaume Michel, principal architecte du projet, souligne sa dimension non-religieuse.

"Si la religion doit être abordée, ce sera comme une thématique parmi les autres", explique-t-il.

– Animé par des Algériens –

L’ascendance catholique de la structure aurait pu faire grincer des dents en Algérie, pays dans lequel l’islam est la religion d’Etat et où 98% de la population est musulmane.

Mais le père Guillaume Michel, directeur du centre des Glycines, assure là encore que l’université n’a aucune vocation de prosélytisme. "Le but est de créer un lieu de savoir laïque, animé par des Algériens, pour les Algériens".

Depuis 2006, le prosélytisme non-musulman est passible de deux à cinq ans de prison en Algérie. Par ailleurs, la conversion d’un musulman à une autre religion en fait un apostat, punissable de mort selon la charia.

Dans ce pays, l’Eglise catholique a un passé douloureux. Durant la guerre civile des années 1990, une vingtaine de religieux chrétiens ont été assassinés, dont les sept moines de Tibéhirine enlevés il y a 20 ans, dans la nuit du 26 au 27 mars 1996.

C’est par des lieux comme le centre des Glycines que le diocèse d’Alger est parvenu à établir une relation de confiance avec la population et les autorités. Ce centre est réputé pour ses conférences et ses cours d’arabe moderne et dialectal, suivis par de nombreux Algériens lors de l’arabisation post-indépendance.

– Relation de confiance –

"Les conférences qui se succèdent ici sont destinées à faire réfléchir, pas à faire de la propagande. Donc il y a une confiance qui s’est instaurée", dit Monseigneur Teissier, ancien archevêque d’Alger.

Le centre des Glycines a été fondé en 1962 à la demande du cardinal Duval, archevêque d’Alger de 1954 à 1988, connu pour ses positions favorables à l’indépendance.

"C’est un organisme qui a une image positive dans la mémoire des Algérois et des Algériens", explique Safar Zitoun Madani, professeur de sociologie et intervenant à l’Université pour tous.

De jeunes étudiants en restauration du patrimoine haussent les épaules lorsqu’on leur parle de l’origine catholique de la structure. "Nous regardons davantage la finalité, qui est le partage du savoir", plutôt que de s’occuper de savoir "par qui ça a été initié", lance un jeune homme à fine moustache.

"J’attendais cette ouverture avec impatience, d’autant que le centre des Glycines nous a habitués à d’excellentes conférences", s’enthousiasme Ouadah Mustapha, un autre étudiant.

Pour Zed Noureddine, responsable de la communication au ministère de l’Enseignement supérieur, cette initiative constitue "un plus pour ceux qui ne peuvent pas étudier" dans le système classique. "Nous sommes très satisfaits de cette création", dit-il.

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