Affaire du siècle: la « carence » climatique de l’Etat mise en avant à l’audience
L’Etat a commis une « faute » en dérogeant à ses objectifs de lutte contre le réchauffement, a estimé jeudi la rapporteure publique du tribunal administratif de Paris, à la grande joie des ONG de l’Affaire du siècle qui espèrent désormais une décision « historique ».
« Il y a bien une faute de l’Etat à n’avoir pas respecté sa trajectoire » de réduction des émissions de gaz à effet de serre, a assuré la rapporteure publique, qui a proposé au tribunal de reconnaître la « carence fautive » de l’Etat, dans ce qu’elle a qualifié de « premier grand procès climatique en France ».
La magistrate, dont les recommandations ne seront pas nécessairement suivies par le tribunal, s’est appuyée sur la décision sans précédent du Conseil d’Etat en novembre dernier. Celui-ci a souligné que la France, qui s’est engagée à réduire de 40% ses émissions d’ici à 2030 par rapport à 1990, a dépassé les budgets carbone qu’elle s’était fixés.
La rapporteure a en revanche estimé que la carence fautive ne pouvait s’appliquer au niveau des objectifs eux-mêmes.
Deux ans après le lancement de L’Affaire du siècle, procédure hors norme soutenue par 2,3 millions de citoyens, les quatre ONG requérantes – Notre Affaire à tous, Greenpeace France, Fondation Nicolas Hulot et Oxfam France – ont malgré tout exprimé leur « joie » et leur « satisfaction » à la sortie de l’audience.
En rendant sa décision dans les semaines qui viennent, « le tribunal a l’opportunité de s’inscrire dans l’Histoire du XXIe siècle », a commenté Cécilia Rinaudo, coordinatrice de Notre Affaire à tous, alors que la justice climatique, qui monte en puissance, reste malgré tout balbutiante.
« Continuer le combat »
« Ce qui a a été dit est remarquable », a ajouté Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France: « Si la justice bouge, ce sera un point d’appui pour continuer le combat » pour le climat, a-t-elle insisté.
Au delà des conclusions de la rapporteure publique, les defenseurs du climat sont encouragés par la décision du Conseil d’Etat en novembre. Saisi par la commune de Grande-Synthe, il a donné trois mois à l’Etat pour justifier de ses actions en matière de réduction des émissions de CO2.
Le tribunal administratif de Paris pourrait d’ailleurs ne pas vouloir répondre à certaines des requêtes des quatre ONG requérantes, en attendant que la plus haute juridiction administrative française tranche définitivement dans ce dossier.
La rapporteure a elle-même suggéré de surseoir à la demande d’enjoindre l’Etat à prendre des mesures supplémentaires contre le réchauffement.
Enumérant les canicules, ouragans et autres événements météo extrêmes subis par les Français, elle a en revanche reconnu l’existence d’un préjudice écologique lié aux dérèglements climatiques. Et « le non-respect du calendrier n’est pas neutre, il implique des émissions supplémentaires, qui viennent aggraver le préjudice écologique ».
La magistrate a toutefois rejeté la demande de réparation de ce préjudice écologique déposée par les ONG. Elle a seulement proposé d’accorder un euro symbolique pour préjudice moral à trois d’entre elles (excluant Notre Affaire à tous, association trop jeune).
« Nous sommes 2,3 millions »
De son côté, le gouvernement rejette les accusations d’inaction. Il met notamment en avant la loi énergie-climat de 2019, qui « renforce les objectifs climatiques », en visant la neutralité carbone à l’horizon 2050 et une baisse de 40% de la consommation d’énergies fossiles d’ici à 2030. Sans oublier la part du plan de relance consacrée à la transition écologique.
Les ONG espèrent qu’une victoire en justice pourrait modifier le rapport de forces politiques, au moment où le projet de loi issu des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, qu’ils estiment largement en-deçà de l’enjeu, est en passe d’être présenté en Conseil des ministres.
« S’il y a une condamnation de l’Etat Français, ça va être compliqué pour le gouvernement de continuer à prétendre que la France est sur une trajectoire exemplaire », a insisté le patron de Greenpeace France Jean-François Julliard.
Le gouvernement pourrait « s’adapter » en fonction du résultat de L’Affaire du siècle, mais les élements qui pourraient être ajoutés dans la loi climat « ne remettent pas en cause les équilibres trouvés », a-t-on toutefois indiqué à Matignon.
Pour bien rappeler le soutien sans précédent des citoyens ayant signé la pétition en ligne, une affiche géante a été installée jeudi matin sur le sol des bords de Seine. Elle proclame : « Nous sommes 2,3 millions ».
« Ce résultat, c’est aussi le leur », a commenté Me Emmanuel Daoud, un des avocats de L’Affaire du siècle. Dans tous les cas, « il y aura un avant et un après ce procès ».