Maroc /France : une rencontre et un nouveau regard sur l’immigration
Ce sont des regards croisés et des idées lucides et courageuses, qui se sont exprimés lors de la rencontre « Mieux vivre ensemble dans des sociétés en mutation : Un nouveau regard sur l’immigration», organisée récemment par M. Chakib Benmoussa, Ambassadeur du Maroc en France.
Par Fouzia Benyoub
Ouvrant cette rencontre, l’ambassadeur du Maroc en France, M. Chakib Benmoussa a rappelé les efforts du Maroc en matière de promotion des droits des migrants, couronnés par l’adoption d’une nouvelle politique migratoire. Il a, d’autre part, mis l’accent sur l’intérêt particulier accordé à la communauté marocaine résidant à l’étranger, soulignant que la Constitution de 2011 consacre les liens de cette communauté avec le pays d’origine.
Qu’elle est la situation dans les deux pays aujourd’hui ? A cette question Albert Sasson a animé le débat, introduit par les réflexions de Benjamin Stora, historien, professeur à l’Université Paris-XIII, spécialiste de l’histoire du Maghreb et directeur de la Cité de l’histoire de l’immigration et Mohamed Khachani, Professeur à l’Université Mohammed V Rabat, secrétaire général de l’association marocaine d’études et de Recherches sur les Migrations.
Dans un monde globalisé, même si il est plus facile pour les produits, les services ou les capitaux de circuler que les hommes, les processus migratoires sont de plus en plus complexes et individualisés. Et dans un contexte de crise économique et sociale et ou les identités s’entrechoquent, il est très difficile de faire valoir l’apport de l’immigration dans la société française.
Pour Benjamin Stora « même si un Français sur quatre descend de l’immigration, les Français ont du mal à accepter l’existence d’une immigration qui constitue, en partie, la nation française ». "La France doit énormément aux migrants qu’ils soient européens ou venus d’ailleurs » insiste t-il.
Les attentats meurtriers contre Charlie Hebdo, le marché casher et des policiers ont ébranlé la France et ont marqué un tournant historique dans la perception de ce que la France pourrait être aux yeux de ces citoyens. Lors du débat, on s’est interrogé sur les difficultés d’être Français de culture musulmane.
Que faire ? Quel engagement tenir face aux amalgames et face à faillite des politiques publiques en matière d’intégration? Comment inverser le regard sur l’immigration et repenser la mémoire collective ? Dans un pays qui ne se conçoit pas comme une nation de migrants, par tradition jacobine et assimilationniste, la tâche est fortement gigantesque ;
Ce sera un « travail lourd et long » selon Benjamin Stora. La société française s’est désintéressée de ses propres enfants issus des migrations et a laissé place aux discours xénophobes et nationalistes. Qui occupent aujourd’hui l’espace politique et médiatique ? Ne sont- ils des représentants de la pensée réactionnaire ? Celle qui sème la peur et la haine ?
Que faire ? L’historien, en rappelant la mosaïque de la société française, sa diversité culturelle et sociologique, indique que le processus migratoire a évolué en raison de la crise économique en France et en Europe, relevant que cette crise a eu des répercussions sur les sociétés et plus particulièrement les jeunes, de même qu’elle a provoqué des départs vers de nouvelles terres d’émigration.
Benjamin Stora, s’interroge sur le lien républicain : « comment le recréer ? » Par l’enseignement de l’histoire à l’école et ailleurs. Cet ailleurs, eu égard aux événements récents, c’est l’espace carcéral. Il a rappelé son expérience d’enseignant durant quatre ans à la prison de Poissy, action qui ne se fait plus faute de vision et par manque de moyens. «
L’affectation des aumôniers musulmans en prison ne saurait régler l’endoctrinement qui ravage les détenus et confirme de plus en plus l’idée que le monde carcéral est un milieu qui renforce le djihadisme et le fondamentalisme radical »
Une idée, défendue en France par plusieurs chercheurs et spécialistes qui demandent de ne pas laisser la prison au monde religieux. "Pourquoi ne pas envoyer des professeurs de l’enseignement supérieur aux prisonniers pour se réapproprier la connaissance avec un objectif: accompagner davantage les détenus dans une autre démarche, celle de la raison »
Côté Maroc, l’histoire de l’émigration a connu plusieurs vagues : celles de la main d’œuvre, du regroupement familial, des diplômés, des saisonniers, des sans papiers, des femmes, des étudiants. Aujourd’hui, on compte plus de quatre de millions qui composent les diasporas marocaines dans le monde, dont une grande majorité sont des binationaux.
Le Maroc est devenu à son tour une terre d’asile et d’installation durable de migrants. Il compte une centaine de nationalité. Ils sont majoritairement africains, des migrants en situation irrégulière, « en transit » et des demandeurs d’asile et des réfugiés. A ces flux, s’ajoutent la circulation des élites professionnelles hautement qualifiées entre l’Europe et le Maroc et les séjours prolongés de retraités européens, notamment Français.
Cette conjonction de dynamiques migratoires a poussé le Maroc à adopter une politique de l’immigration et de l’asile radicalement nouvelle. Néanmoins, la place du migrant pose des questions au Maroc notamment, en ce qui concerne les conditions de son accueil, le regard porté sur lui, son intégration au tissu économique et son rôle dans le processus de « cosmo-politisation » du pays.
Dans son intervention l’universitaire marocain Mohamed Khachani, a mis en lumière la nouvelle politique migratoire du Maroc. Elle constitue une « avancée qualitative notoire et s’inscrit en droite ligne des efforts de promotion des Droits de l’Homme, entrepris par le pays »
Cette nouvelle politique permet « aujourd’hui de passer d’une approche sécuritaire à une approche humaine qui prend en considération la préservation des droits de l’Homme, tout en contribuant à la promotion des valeurs du vivre-ensemble » explique M. Khachani.
La mise en œuvre de cette nouvelle approche reflète la détermination du Maroc à respecter ses engagements internationaux, notamment en matière de préservation des droits des migrants, et dans la continuité des dispositions de la Constitution de 2011.
Parmi les autres facteurs expliquant la mise en place de cette politique, souligne Ahmed Khachani « les considérations géopolitiques et plus particulièrement l’attachement du Maroc à ses racines africaines », observant que « la régularisation ne constitue qu’un premier pas vers l’intégration par l’insertion sociale dans le marché d’emploi, le logement et la scolarisation des enfants des migrants ».