C’est un serpent de mer dont on évoque avec une passion militante les rayures et les couleurs à chaque occasion. C’est une revendication métronome qui refait tout le temps surface sans avoir réellement disparu du débat politique. C’est une rubrique obligatoire du débat sur la diaspora marocaine à l’étranger qu’on tait par impuissance ou qu’on gratte par conviction. Il s’agit de l’éternelle question de la représentation politique de cette diaspora au sein des institutions représentatives du modèle démocratique marocain.
Au jour d’aujourd’hui, les Marocains du monde dont on estime le nombre à la louche à près de cinq millions d’âmes, soit 15% de la population, ne participent pas à élire, de là où ils se trouvent leurs représentants au sein du parlement ou de ses instituions représentatives. S’ils veulent voter, ils doivent se déplacer au Maroc, justifier d’une résidence, bref gommer leur situation d’immigrés. Ou utiliser le sytème de procuration dénoncé par beaucoup comme réservé à des citoyens de seconde zone. Idem pour avoir un mandat politique. S’ils veulent se faire élire, ils doivent réintégrer physiquement la géographie nationale.
En cause et malgré de nombreuses incitations dont la plus incontestable fut la constitution de 2011, le modèle politique marocain a fait jusqu’à présent l’économie d’un mécanisme de représentation. Dans tous ses ressorts, la diaspora est restée dans l’angle mort. Parfois comme un sujet tabou. Comme suspendue à un agenda reporté en permanence.
Et pourtant les arguments qui militent pour l’octroi de la représentation politique à cette diaspora ne manquent pas. A commencer par leurs participations structurelles à l’essor de l’économie marocaine. L’argent envoyé par la diaspora est une des fondations presque vitales de l’économie marocaine qu’il soit sous forme de transferts réguliers ou d’investissements ponctuels.
Il y a ensuite le rôle joué par cette communauté dont les talents et les compétences se sont distingués sous tous les cieux. Le Maroc peut compter sur ses enfants pour faire briller son étoile, renforcer son influence, solidifier sa soft power, indispensables aujourd’hui pour l’existence, l’influence et le leadership d’une nation aussi ambitieuse à imprimer sa marque et à creuser son sillon comme le Royaume du Maroc.
Et pourtant malgré toutes ces raisons objectives, la représentation politique par voie élective pour ces Marocains du monde reste encore un rêve lointain. Tous les débats sur ces questions n’offrent que partiellement les arguments de cette absence et de cette retenue , à la longue handicapante et source de critiques, de tensions et de frustrations.
Pour certains, cette problématique est un terrain miné. Une perception erronée de ces enjeux empêchait de l’aborder avec réalisme et clairvoyance. Ainsi on trouve dans les argumentaires de ceux qui freinent ou reportent indéfiniment la crainte de voir les groupes politiques les plus organisée au sein de cette diaspora dont 80% se trouve sur le territoire européen rafler la mise.
L’attention est portée clairement ici aux forces islamistes traditionnellement mieux organisées, utilisants les mosquées, les lieux de cultes, les associations comme rampes de lancement à leurs victoires électorales. Les responsables des découpages électoraux craignent d’offrir involontairement des sièges à ces groupes plus versés dans le militantisme politique coloré par le religion que d’autres. Les voix de cinq millions de marocains peuvent clairement impacter le rapport de force national et imposer certaines configurations politiques qui risquent d’être en rupture avec le réalité politique marocaine.
Pendant de longues années, cette diaspora était perçue comme une entité travaillée par les forces subversives, d’extrême droite islamisante ou d’extrême gauche nihiliste, qui utilisent les leviers politiques et médiatiques des pays d’origine pour tenter d’influencer la gestion de la chose publique au Maroc.
Si ces craintes sont réelles, elles ne justifient pas pour autant la privation de la diaspora marocaine dans le processus de construction politique de la démocratie marocaine. Et les enjeux ne sont pas liés uniquement à une conjoncture particulière. Ils sont susceptibles d’impacter la nature et la qualité des liens que les générations à venir de cette diaspora, active et productive, vont continuer à entretenir avec leur pays d’origine, le Maroc.
Faute d’avoir trouvé un mécanisme qui garantit une représentation politique de cette diaspora marocaine, le Maroc ne peut continuer à faire l’impasse sur ce déficit démocratique.