Cette mesure, qui figurait dans les engagements de campagne d’Emmanuel Macron, est revenue sur le devant de la scène fin novembre à l’occasion d’un amendement LREM voté en commission, révisé ensuite par le gouvernement.
S’appuyant sur des chiffres de l’Institut international de recherche anti-contrefaçon de médicaments (IRACM), selon lesquels un Français gaspille 1,5 kg de médicaments par an, le gouvernement propose de créer le principe d’une dispensation à l’unité de certains médicaments en officine, à une date fixée par décret, au plus tard le 1er janvier 2022.
"Les médicaments concernés par cette possibilité seront, dans un premier temps, limités à quelques antibiotiques, pour lesquels l’intérêt d’une dispensation à l’unité est le plus évident", propose l’amendement gouvernemental, qui laisse au pharmacien le choix du mode de délivrance.
"Si on regarde le cycle de vie du médicament, il est détruit lorsqu’on le ramène à la pharmacie. Notre préoccupation est de dire +ne produisons pas ce que nous ne consommons pas+", plaide la députée LREM Nathalie Sarles, qui avait porté l’amendement initial, plus contraignant.
Mais si le secteur admet que des efforts restent à faire, il est en revanche circonspect sur la cure proposée.
"Tout le monde est d’accord pour mettre en place des mesures contre le gaspillage. La question est de trouver comment atteindre cet objectif", estime Carine Wolf, présidente de l’Ordre des pharmaciens, qui doute de l’éventuel gain écologique en raison des contenants qui seront nécessaires pour distribuer les comprimés.
Inapproprié" aux traitements chroniques
"Les conditionnements correspondent à la posologie indiquée par la notice et validée par les autorités sanitaires", fait valoir Philippe Lamoureux, le directeur général du Leem. Et, ajoute-t-il, "le déconditionnement est inapproprié pour la majorité des traitements qui sont chroniques."
Pour Nathalie Coutinet, économiste spécialiste du secteur de la santé, le champ d’application est effectivement restreint.
"Cela ne concerne pas les maladies chroniques, ni les médicaments délivrés à l’hopital, les médicaments qui sont les plus coûteux. C’est une bonne idée, mais il n’est pas certain que l’intérêt économique soit énorme", dit-elle.
Autre inquiétude affichée par le secteur, les risques pour la traçabilité des médicaments, alors qu’une directive européenne a récemment rendu obligatoire la sérialisation par boîte et non plus par lots, à des fins de sécurité.
Ce texte, entré en application en février, "a nécessité des dizaines de millions d’investissement sur les chaînes de production pour mettre en place des mécanismes de traçabilité et de sérialisation. Dix mois après, on va perdre ces efforts pour déconditionner les produits ? Cela n’a pas beaucoup de sens", juge Philippe Lamoureux.
Pour Olivier Veran, député LREM et neurologue, le projet, bien que séduisant, "se heurte au principe de traçabilité des médicaments. A ce jour je ne crois pas que nous ayons identifié une solution technique. Préalable à toute velléité de légiférer", dit-il.
Bernard Leroy, le directeur de l’IRACM, alerte lui aussi sur des problèmes potentiels de falsification. "Il y a des risques phénoménaux à perdre l’identification des médicaments par leur blister, la boîte et la posologie", estime-t-il.
Entre le travail supplémentaire pour les pharmaciens ou l’avenir des notices, les critiques ne manquent pas. Pourtant, la délivrance à l’unité est déjà en vigueur dans autres pays, dont le Royaume-Uni ou les Etats-Unis.
"Aux Etats-Unis, qui pratiquent cette mesure depuis assez longtemps, il y a quand même du gaspillage", observe l’économiste de la santé Claude Le Pen.
Selon lui, des pistes d’amélioration existent plutôt au niveau des prescriptions des médecins et de l’éducation du patient sur le suivi du traitement.