Le ressentiment contre les Africains n’a jamais été aussi fort en Libye que depuis le début de la révolte en février contre l’ancien maître absolu du pays, qui avait fait du rapprochement avec l’Afrique l’un des piliers de sa politique étrangère ces dernières années.
Pour le commun des Libyens, les Africains sub-sahariens ont participé de manière significative à la défense du régime déchu, qui a recruté parmi eux nombre de mercenaires.
"Les Africains ont commis 40% des tueries dont ont souffert les Libyens depuis la révolution du 17 février, et avant cela ils vivaient sur le dos du peuple libyen", affirme Faten Mohammed el-Annabi, une étudiante de 21 ans.
"J’ai un seul voeu: qu’ils disparaissent à jamais de notre pays parce qu’ils ont été achetés pour tuer et chasser les Libyens", ajoute-t-elle.
Mouammar Kadhafi, se disant "déçu" des Arabes qui n’entendaient pas ses appels à l’unité, s’était tourné vers l’Afrique, poussant à la création de l’Union africaine. Il avait multiplié les tournées et les investissements en Afrique, allant jusqu’à s’autoproclamer "roi des rois d’Afrique".
Les Libyens, qui comptent une minorité de Noirs, ont eu au début de la décennie une réaction viscérale à cette politique africaine, en pourchassant et parfois même en tuant des Africains venus travailler en nombre dans le pays.
Ils accusaient cette population de tous les maux: propagation du sida, insécurité, vol du travail des Libyens…
Depuis le début de la révolte mi-février, tout Noir était vu comme comme un "mercenaire en puissance", ont expliqué à l’AFP des combattants de Zenten, dans les montagnes au sud-ouest de Tripoli, qui disaient les contrô ler à deux fois sur les barrages.
Ouvriers travaillant sur place depuis des années ou candidats à l’émigration en Europe coincés par les combats ou la désorganisation de la filière clandestine qui organisait leurs équipées maritimes, des milliers d’Africains se sont retrouvés bloqués en Libye.
Au printemps, des milliers d’entre eux ont dû patienter des semaines, parfois sous les bombes, sur le port de Misrata, ville alors tenue par les rebelles mais assiégée par les pro-Kadhafi à 200 km à l’est de Tripoli, avant d’être évacués par bateau par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Aujourd’hui, un millier de Nigérians, Ghanéens, Maliens, Gambiens, Somaliens ou Soudanais s’entassent à leur tour dans le petit port de Sidi Bilal, sur une base militaire abandonnée près de Tripoli, dans des conditions "épouvantables", selon Médecins sans frontières (MSF).
Et selon l’OIM, environ 1.200 immigrés, en majorité des Tchadiens, sont bloqués à Sebha (sud), "terrifiés à l’idée d’être pris au piège des combats entre forces loyales à Kadhafi et les troupes rebelles".
Fin août, Amnesty International s’était alarmée de la situation des Noirs: "Les personnes soupçonnées d’avoir combattu pour le colonel Mouammar Kadhafi, en particulier les Libyens noirs et les Africains sub-sahariens, sont en situation de grand risque, (menacées) de mauvais traitements par les forces anti-Kadhafi".
Le N.2 des nouvelles autorités libyennes, Mahmoud Jibril, a rappelé jeudi devant la presse que le devoir des Libyens était de "protéger les travailleurs étrangers". Mais ces propos sonnent comme un prêche dans le désert dans un pays qui montre des signes d’intolérance particulièrement forts.