Syrie, une pluie d’armes sur un champ de guerre totale
La rébellion et le régime, tous deux massivement alimentés en matériel par l’étranger, se livrent à des combats toujours plus intenses et meurtriers.
Lance-roquettes. Une raison majeure à cette intensification des combats : l’afflux d’armement, aussi bien à destination du camp du régime que de celui de la rébellion. «Nous n’avons jamais reçu autant d’armes qu’à présent. C’est par véhicules entiers qu’ils entrent en Syrie. Ils passent par la frontière turque, beaucoup plus que par le Liban. Des quantités énormes sont arrivées jusqu’à Hama [qui est aujourd’hui un des épicentres de la révolte, ndlr] et même, à l’autre bout de la Syrie, jusqu’à Deraa [près de la frontière jordanienne, ndlr]», reconnaît un opposant qui a requis l’anonymat. «Impossible que le régime ne soit pas au courant de ces livraisons, pas plus que les Etats-Unis ou la France. Pour nous, celles-ci sont devenues un vrai appui international», poursuit-il. Avec un gros bémol, cependant : «On nous livre essentiellement des kalachnikovs et des lance-roquettes. Ceci peut nous permettre de mener une guerre ouverte contre le régime, mais pas de le renverser.» Néanmoins, la livraison de ces armes, dont on peut suspecter la Turquie d’en être à l’origine, avec un financement du Qatar et de l’Arabie saoudite, et l’appui probable des Etats-Unis, a permis à la guérilla de se développer. Ce sont précisément les lance-roquettes antichars qui ont donné un avantage certains aux rebelles, l’armée craignant désormais d’engager ses blindés dans la reconquête des villes. Dorénavant, «le gouvernement syrien a perdu au profit de l’opposition de grandes parties du territoire et plusieurs villes», indiquait dernièrement le chef des opérations de maintien de la paix de l’ONU, Hervé Ladsous. Autre souci du régime : l’étirement des lignes d’approvisionnement de l’armée, afin de pouvoir contourner les zones qui lui échappent.
Damas, lui aussi, reçoit des armes en abondance. Elles lui ont permis de se lancer à la reconquête des villes perdues et de procéder à des pilonnages massifs. Cette fois, c’est Moscou qui est montré du doigt. D’où la colère d’Hillary Clinton, qui s’est adressée la semaine dernière au Kremlin en des termes qui n’avaient pas été utilisés depuis la chute du Mur, lui reprochant de fournir à Bachar al-Assad des hélicoptères d’assaut – ils jouent un rôle important dans la reconquête des villes. La secrétaire d’Etat américaine a même qualifié de «notoirement faux» les démentis opposés par la Russie. La réplique est venue de son homologue russe, Sergueï Lavrov, qui, depuis Téhéran, a accusé à son tour sèchement Washington de fournir en armes les insurgés syriens.
Ainsi, derrière le conflit entre le régime d’Al-Assad et l’opposition, commence à se dessiner la carte d’une confrontation plus vaste. Celle-ci implique, bien sûr, les pays voisins de la Syrie – Liban, Turquie, Arabie Saoudite, Irak… – et reflète la coupure du monde musulman entre sunnites et chiites. «L’Arabie saoudite et le Qatar seraient prêts à financer n’importe quelle opération militaire visant à renverser Bachar. Pour eux, c’est une question de survie. Car, s’ils perdent en Syrie, ce sera pour eux le début de la fin», analyse un politologue qui ne veut pas être cité.
«Grozny». Mais le conflit syrien perce également sur la scène internationale. En atteste l’animosité de plus en plus vive entre Washington et Moscou, avec des relents de guerre froide. Même si, lors de leurs discussions hier à Los Cabos, au Mexique, Vladimir Poutine et Barack Obama ont cherché à donner le change, les relations russo-américaines restent empoisonnées par la question syrienne (lire ci-contre). Dernier épisode de cette confrontation Est-Ouest : Moscou se prépare à envoyer deux navires de guerre amphibies de la flotte de la mer Noire, avec à bord des fusiliers marins – les services occidentaux les estiment à quelque 250 par bateau – vers le port syrien de Tartous, seule base navale russe en Méditerranée. Le commandant adjoint des forces aériennes russes a même déclaré que des avions étaient prêts à protéger les navires de guerre. Officiellement, il s’agit d’évacuer les citoyens russes de la zone de conflit et les équipements installés à Tartous. Mais comment ne pas voir aussi dans ce déploiement la volonté du Kremlin de montrer que la Syrie, quoiqu’il arrive, est une chasse gardée et que les Occidentaux n’y sont pas les bienvenus. «N’oublions pas que des officiers russes conseillent toujours, comme à l’époque de l’URSS, l’état-major syrien, et qu’ils sont probablement aux côtés des officiers qui bombardent Homs, laquelle ressemble d’ailleurs de plus en plus à Grozny [capitale de la Tchétchénie, anéantie par l’armée russe, ndlr]. Pas plus tard que le week-end dernier, le ministre syrien de la Défense était à Moscou», souligne le même expert qui requiert l’anonymat.
A elle seule, la Syrie est donc un triple champ de bataille : domestique, régional et international. On voit même les relations se tendre entre Moscou et Doha, ainsi qu’avec Riyad, comme le montre bien l’annulation d’un récent forum économique entre les deux pays prévu pour se tenir à Djeddah.