Tunisie: Nabil Karoui, figure controversée des médias à l’assaut de la présidence

Homme d’affaires et des médias tunisien, Nabil Karoui est une personnalité controversée qu’aucun paradoxe n’effraie: inculpé en juillet pour blanchiment d’argent, cet ancien commercial a mené campagne pour la présidentielle à grand renfort d’actions caritatives en se présentant comme le candidat des plus démunis.

Mais arrêté vendredi, ses chances pour participer au scrutin du 15 septembre semblement fortement compromises. Par ailleurs, les candidats à la présidentielle se sont vu interdire de mener leur campagne sur sa chaîne, dépourvue de licence.

Sa candidature a inquiété les cercles du pouvoir au point que le Parlement a amendé en juin le code électoral sous l’impulsion du gouvernement, afin de tenter d’écarter du prochain scrutin toute personne ayant durant l’année écoulée octroyé "des avantages quelconques" à des citoyens, en allusion à ses actions caritatives.

Mais le président Béji Caïd Essebsi n’a pas promulgué ce nouveau code avant sa mort, le 25 juillet, laissant à M. Karoui la voie ouverte.

Confronté à cette tentative de mise à l’écart, Nabil Karoui, à la tête d’un nouveau parti –"Qalb Tounes" ("Au coeur de la Tunisie")–, a lui fait étalage de sa pugnacité coutumière, en brocardant une "tentative de coup d’Etat".

Agé de 56 ans, cet ancien commercial pour les marques Colgate et Palmolive –selon sa biographie officielle– est un habitué des combats: de multiples procédures ont été ouvertes ces derniers années contre cet ex proche du pouvoir, ou contre sa chaîne. En retour, il a accusé le gouvernement d’instrumentalisation des rouages de l’Etat.

– Dénigrement contre une ONG –

Natif de Bizerte (nord), Nabil Karoui lance en 2002 avec son frère Ghazi, un groupe de médias et de publicité "Karoui et Karoui".

Après la révolution de 2011, sa chaîne Nessma, jusque-là essentiellement cantonnée au divertissement et à la téléréalité, se tourne vers l’information en dialecte tunisien. Elle devient alors l’une des principales TV privées du pays.

M. Karoui et Nessma font notamment parler d’eux en diffusant le film franco-iranien Persepolis, polémique en raison d’une représentation de Dieu interdite en islam: la chaîne écope d’une amende et fait l’objet d’attaques.

Critiqué par des observateurs internationaux pour avoir mis son média au service du candidat Béji Caïd Essebsi en 2014, Nabil Karoui finit par quitter –officiellement– la direction de Nessma en rejoignant le parti présidentiel Nidaa Tounes en 2016, contraint en cela par la loi.

Ciblée pour son manque de transparence sur ses flux financiers et son capital –qui serait en partie détenu par l’ex Premier ministre italien Silvio Berlusconi–, la chaîne est l’objet d’une interdiction de diffusion en octobre 2018 émanant de la Haute autorité indépendante chargée de réguler les médias audiovisuels (Haica).

Mais Nessma TV n’obtempère pas, et Nabil Karoui y déclare sa candidature à la présidentielle fin mai.

Deux ans plus tôt, la fuite d’un enregistrement attribué à M. Karoui, dans lequel il planifiait une campagne de dénigrement contre l’ONG anti-corruption I-Watch, avait contribué à jeter le trouble sur l’homme d’affaires, jusqu’à aboutir à son inculpation début juillet pour "blanchiment d’argent".

A ce jour, les avoirs de Nabil Karoui restent gelés et il lui est interdit de voyager.

– Mère Teresa et Abbé Pierre –

Mais, durant ces trois dernières années, M. Karoui s’est aussi patiemment construit une notoriété en distribuant électroménager et biens divers aux quatre coins du pays sous l’œil des caméras de Nessma.

La chaîne diffuse quotidiennement "Khalil Tounes", émission caritative en mémoire du fils de Nabil Karoui, Khalil, mort dans un accident de voiture en 2016.

On y voit le magnat des médias, cheveux poivre et sel, traits fins, habits griffés et style branché, sillonner le pays comme aucun politicien ne l’avait fait, en écoutant les doléances des plus démunis.

"+Khalil Tounes+ m’a permis de me rapprocher des gens, de réaliser les énormes problèmes sociaux dans le pays. Le contact direct avec les gens m’a beaucoup touché", dit à l’AFP Nabil Karoui en évoquant sa candidature.

N’hésitant pas à se comparer à Mère Teresa ou l’Abbé Pierre, sa générosité désintéressée a toutefois ses limites: elle est soigneusement répertoriée sur le site dédié à son émission.

"Il a vu qu’à travers la télévision et les actions de charité il peut entrer dans chaque foyer marginalisé", avance Alaa Talbi, président du Forum tunisien des droits économique et sociaux (FTDES).

Vu "l’absence des institutions de l’Etat", il lui est "facile de combler le vide", ajoute-t-il.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. J'accepte Lire la suite