Les autorités n’ont pas traîné pour mettre fin à cette manifestation qui n’avait pas reçu l’autorisation de la mairie. Elle fait suite à une mobilisation quasiment sans précédent de la société civile pour obtenir la libération du journaliste d’investigation, réputé pour ses enquêtes fouillées sur la corruption des élites et les malversations dans des secteurs opaques et mafieux comme le microcrédit ou les pompes funèbres.
La police a annoncé dans un communiqué avoir procédé à plus de 200 arrestations lors de cette marche visant à dénoncer les agissements policiers au cours de l’affaire Golounov.
Parmi les personnes arrêtées, figure le principal opposant au Kremlin, Alexeï Navalny, qui a fait l’objet de nombreuses procédures judiciaires et détentions ces dernières années.
"Le pouvoir a terriblement peur de la démonstration de solidarité fantastique et unanime dans l’affaire Golounov. Il est donc important pour eux de détruire d’abord la solidarité générale, puis d’intimider et d’emprisonner ceux qui insistent", a déclaré sur Twitter M. Navalny, qui encourt jusqu’à 30 jours de détention.
Plusieurs journalistes, dont des collaborateurs du journal d’opposition Novaïa Gazeta, du quotidien Kommersant et du magazine allemand Der Spiegel, ont également été arrêtés.
Plus d’un millier de personnes se sont rassemblées dans le centre de Moscou et une centaine dans la deuxième ville du pays, Saint-Pétersbourg, encadrées par une forte présence policière, ont constaté des journalistes de l’AFP.
"Ce qui s’est passé avec Ivan Golounov arrive tous les jours dans tout le pays. Il y a des tonnes de (fausses) histoires de drogue comme ça. Nous avons eu de la chance qu’il ait été libéré mais ce n’est qu’une petite victoire. La guerre n’est pas gagnée", a déclaré à l’AFP Egor, un manifestant de 15 ans portant un t-shirt avec le slogan "Je suis Ivan Golounov".
"Je suis venue car il y a encore beaucoup de personnes qui sont détenues de manière injuste. Il y a beaucoup d’affaires injustes", a abondé Lioudmila, une ingénieure à la retraite de 83 ans.
Le Kremlin avait dit craindre mardi que la marche ne "gêne l’atmosphère festive" de mercredi, jour férié célébrant l’indépendance de la Russie vis-à-vis de l’URSS.
"Impunité complète"
Arrêté le 6 juin à Moscou par des policiers qui affirmaient avoir découvert dans son sac à dos puis dans son appartement d’importantes quantités de drogue, Ivan Golounov avait été assigné à résidence samedi avant d’être disculpé et libéré mardi — un recul rarissime des autorités.
Le reporter de 36 ans, qui travaille pour le site d’information indépendant Meduza, a dit espérer que la lumière soit faite sur ce qu’il s’est passé et assuré qu’il continuerait à faire son travail comme avant.
Une enquête a été ouverte sur les agissements des policiers ayant interpellé Ivan Golounov, qui ont été suspendus de leurs fonctions le temps de l’enquête, tandis que deux responsables de haut rang de la police moscovite seront limogés.
Il s’agit d’un dénouement hors norme en Russie, où les services de sécurité et la police sont souvent accusés de monter des affaires de drogue de toutes pièces pour se débarrasser des voix critiques ou simplement pour atteindre leurs quotas mensuels d’arrestations.
L’organisation Reporters sans frontières (RSF), tout en saluant le "niveau historique de pression de la société civile russe" ayant permis la libération d’Ivan Golounov, rappelle que six autres journalistes restent détenus pour diverses accusations en Russie.
"L’arrestation d’Ivan Golounov met en lumière l’impunité complète dont jouissent les policiers corrompus", indique RSF dans un communiqué. "Si leur comportement a choqué Moscou, il est assez courant dans le reste de la Russie."
L’affaire du journaliste avait provoqué une onde de solidarité rare, les soutiens s’accumulant de la part de simples Russes, des journaux indépendants jusqu’aux médias d’Etat, aux artistes et même à certains hauts responsables politiques.