Maroc : Après le drame des mines clandestines, Jerada se prépare à une grève générale

Narjis Rerhaye (A Rabat)

C’est une colère contenue qui continue de gronder à Jerada. Il a fallu un double drame –un drame de trop- pour que la ville minière, située à une soixantaine de kilomètres d’Oujda, sorte de l’oubli et fasse la « une » des médias nationaux et internationaux. Des mines de charbon clandestines, des mineurs qui continuent d’extraire du charbon à 80 mètres sous terre et un puits d’eau qui vient emporter deux frères : désormais, le monde entier connait les mines de la mort de Jerada.

Depuis vendredi 22 décembre, jour noir où est survenue la tragédie, plus rien ne sera comme avant. C’est ce que veulent en tout cas croire les habitants de Jerada qui, tous les jours, sortent manifester et réclamer ce qu’ils appellent « une alternative économique » à leur misère. Un appel à la grève générale a été lancé par des syndicats et autres associations : la Confédération démocratique du travail (CDT), l’Union marocaine du travail (UMT) la Fédération démocratique du travail (FDT), le pôle syndical du mouvement islamiste d’Al Adl Wal Ihsane, la Fédération de la gauche démocratique (FGD), l’Association marocaine des droits de l’Homme (AMDH) et la Fédération nationale de l’enseignement (FNE).
Ce vendredi 29 décembre, Jerada devrait être une ville morte, après avoir été longtemps un territoire marginalisé.

Il y a plusieurs jours déjà que la petite ville de l’Oriental a enterré ses deux morts. Les obsèques de Houcine et Jedouane, les deux frères qui ont péri dans ce terrible accident au fin fond d’une galerie, ont eu lieu lundi 25 décembre. Une foule immense les a suivis jusqu’à leur dernière demeure. Houcine et Jedouane avaient respectivement 23 et 30 ans. Pour vivre, ils n’avaient pas d’autre choix que l’extraction du charbon dans des mines fermées. Pour une petite centaine de dirhams par jour, ils prenaient des risques incommensurables. La mine a fini par les emporter.

Jerada est l’une des communes les plus pauvres du pays. Entre précarité et chômage, les mines clandestines sont le seul horizon. A l’époque, ces mines ont bien procuré quelque 9 000 emplois à une ville qui comptaient alors 70 000 habitants. Depuis, les mines ont été fermées. Les gens ont quitté la commune. Jerada est devenue l’ombre d’elle-même. Personne n’a jamais pensé à ces choses essentielles qui sont la reconversion, les perspectives d’avenir pour les anciens mineurs et leurs familles, l’investissement économique, la mobilisation des ressources financières. Il y a une vie après la mine et ce charbon devenu beaucoup trop cher à extraire. Des projets économiques avaient, certes, été mis en œuvre par l’État après la fermeture de l’activité minière mais jugés peu suffisants. Résultat, dans les mines désaffectées et officiellement fermées depuis juillet 2000, des « gueules noires », miniers de fortune, ont continué de creuser, sans la moindre protection, pour (sur)vivre et parfois y mourir.

A Rabat, aucun haut responsable gouvernemental n’a encore jugé nécessaire de se déplacer à Jerada, écouter les populations, rassurer les jeunes, redonner de l’espoir à une ville oubliée et marginalisée. Interpellé au parlement en début de semaine, Saadeddine El Othmani, le chef de gouvernement s’est dit prêt « à recevoir les parlementaires de la région cette semaine ou la semaine prochaine pour débattre des problèmes que connaît la zone". Pour l’heure, celui qui préside aux destinées de l’Exécutif a choisi la formule minimaliste. Son ministre de l’Energie et des mines –qui a été convoqué ainsi que le ministre de l’Intérieur en commission parlementaire-ne fait guère mieux et ne semble pas, près d’une semaine après le drame, envisager de se rendre à Jerada.

Contacté par nos confrères de 2M.ma, le ministre de l’Energie et des mines Aziz Rabbah s’est contenté de dire que « des contacts sont en cours avec le ministère de l’intérieur pour définir les circonstances de ce drame » avant de nous apprendre qu’« une commission interne est déjà en place et travaille en coordination avec le gouverneur de la province et les autorités locales sur la situation à Jerada. » C’est à l’agence AFP et non pas aux habitants de Jerada que le même ministre PJD (parti des islamistes) révélera que le département dont il a la charge va lancer « une étude très approfondie pour identifier le potentiel minier de la zone et encourager les investisseurs à y venir ».

En attendant, le gouvernement El Othmani ne semble pas se préoccuper du déploiement d’une communication de crise alors que la colère des habitants de Jerada n’en finit pas de grossir. A l’évidence, les leçons d’Al Hoceima n’ont pas été tirées par Saadeddine El Othmani et ses ministres.

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