Libye: la Turquie expose les conditions d’un cessez-le-feu, critique la France
La Turquie, devenue un acteur incontournable en Libye, a affirmé samedi qu’un cessez-le-feu passait par un retrait de la ville stratégique de Syrte des forces du maréchal dissident Khalifa Haftar, qu’elle a accusé la France de soutenir au mépris de la sécurité de l’Otan.
La position de la Turquie, dont l’intervention en Libye a inversé ces derniers mois le cours de la guerre au profit du gouvernement d’Union nationale de Tripoli (GNA,) a été exposée par le porte-parole de la présidence turque Ibrahim Kalin lors d’une interview à l’AFP à Istanbul.
« Un cessez-le-feu doit être viable, ce qui veut dire que l’autre partie, la LNA (l’Armée nationale libyenne) de Haftar ne doit plus se trouver dans une position lui permettant de lancer quand elle le veut une nouvelle attaque contre le gouvernement légitime », a dit M. Kalin.
« A ce stade, le GNA estime, et nous le soutenons en cela, que toutes les parties doivent retourner à leurs positions de 2015 lorsque l’accord politique libyen de Skhirat (au Maroc) a été signé, ce qui veut dire que les forces de Haftar doivent se retirer de Syrte et d’al-Joufra », plus au sud, a-t-il ajouté.
Les forces du GNA, après avoir repris début juin le contrôle de l’ensemble du nord-ouest du pays avec le soutien de la Turquie, restent freinées dans leur avancée vers Syrte, ville stratégique en direction de l’Est, sous contrôle du maréchal Haftar.
Ville natale de l’ancien dictateur Mouammar Kadhafi, Syrte, à 450 km à l’est de Tripoli, a par la suite été un bastion du groupe jihadiste Etat islamique (EI), avant d’être reprise en 2016 par le GNA. Elle est tombée en janvier dernier aux mains du camp Haftar.
Si la Turquie appuie le GNA de Fayez al-Sarraj, reconnu par les Nations unies, les forces dissidentes du maréchal Haftar sont soutenues notamment par la Russie, l’Egypte et les Emirats arabes unis.
Ankara et Moscou discutent actuellement pour tenter de parvenir à un nouveau cessez-le-feu en Libye après l’échec de plusieurs précédentes trêves, en dépit de l’annulation à la mi-juin en raison d’apparentes divergences d’une visite à Istanbul de deux ministres russes.
« Aucun sens »
Le porte-parole présidentiel turc s’en est en outre violemment pris à la France, accusée de soutenir le maréchal Haftar et qui critique avec virulence l’intervention de la Turquie aux côtés du GNA.
« En Libye nous soutenons le gouvernement légitime et le gouvernement français soutient un chef de guerre illégitime et met ainsi en danger la sécurité de l’Otan, la sécurité en Méditerranée, la sécurité en Afrique du nord et la stabilité en Libye », a-t-il dit.
« Malgré tout cela, ils (les responsables français) continuent de nous critiquer. Mais nous travaillons avec les acteurs légitimes et c’est la France qui travaille avec les mauvais acteurs et les éléments illégitimes tout en nous pointant du doigt. Cela n’a aucun sens », a-t-il ajouté.
Les critiques de M. Kalin surviennent quelques jours après que la France a dénoncé un comportement « extrêmement agressif » de la Turquie, membre elle aussi de l’Otan, contre une frégate française engagée dans la mission Irini en Méditerranée lors d’une tentative de contrôle d’un cargo suspecté de transporter des armes vers la Libye.
L’Otan a annoncé jeudi l’ouverture d’une enquête sur cet incident.
M. Kalin s’en aussi pris aux Emirats arabes unis, qui selon lui « financent la guerre et se servent de Haftar comme mercenaire ».
Il a qualifié de « ridicules » les attaques récurrentes des Emirats contre le rôle que joue la Turquie du président Recep Tayyip Erdogan dans le monde arabo-musulman ». « Nous n’avons pas d’agenda contre les Emirats, mais curieusement ils semblent obsédés par la Turquie et par notre président et cherchent les opportunités pour les attaquer et les dénigrer », a-t-il ajouté.
M. Kalin s’est montré moins virulent à l’égard de l’Egypte, affirmant comprendre « ses préoccupations sécuritaires en raison de la longue frontière qu’elle partage avec la Libye », tout en l’invitant à abandonner le maréchal Haftar et soutenir le gouvernement de Tripoli.
« Nous avons vu que jusqu’à présent tout soutien à Haftar s’est traduit par davantage de violence, d’impasse politique et de mort en Libye », a-t-il affirmé.