Liban: Femmes sous plastique
Le diktat de la chirurgie esthétique toucherait-il les Libanaises plus que d’autres ? Plus d’une sur trois s’y adonnerait, selon de vagues statistiques. Pas si sûr, protestent les contestatrices. Il n’empêche : passer sous le bistouri pour être plus belle a pris des allures de phénomène de société.
Plusieurs Libanaises, néanmoins, refusent de céder au culte de la chirurgie esthétique. Manal, Najwa et Nada sont réunies dans un café en face de la mer à Rawché. Aucune de ces trois Libanaises âgées respectivement de 24, 29 et 33 ans n’a subi ou ne souhaite subir une opération de chirurgie esthétique. La plus jeune le souligne, sourire aux lèvres : « On dit souvent que sur trois Libanaises, une au moins se serait fait opérer pour une chirurgie esthétique. Nous prouvons que ce n’est pas tout à fait vrai. D’ailleurs, dans mon entourage, aucune femme n’accepterait de le faire. » Najwa, elle, est formelle. Même si son copain a tenté de la convaincre d’avoir un nez plus droit, elle trouve que son appendice nasal lui donne du caractère. « J’assume parfaitement mes imperfections. »
La plus âgée, Nada, critique la façon avec laquelle certains médias traitent le sujet. « Plusieurs reportages veulent démontrer que les femmes libanaises se font opérer parce qu’elles sont prêtes à tout pour plaire. Celles qui sont contre la chirurgie ne sont pas interrogées. Il est vrai que beaucoup de Libanaises veulent se faire retoucher le nez ou se prêter à une liposuccion. Mais la chirurgie est un phénomène mondial. En Europe aussi, le nombre des opérations est en train de monter en crescendo. » Un avis partagé par une journaliste libanaise qui travaille pour une radio locale et qui a préféré garder l’anonymat. Elle critique certains de ses confrères français ou franco-libanais « qui, sur la question, ont voulu faire du sensationnalisme plus qu’autre chose et n’ont pas essayé de montrer une autre facette des femmes libanaises ».
En réalité, une grande partie de ces femmes ne se reconnaît pas dans l’image que dresse d’elles une certaine presse. Même si elles en côtoient des milliers d’autres qui passent par la case bistouri pour ressembler à des chanteuses ou des mannequins. Le Dr Ziad Sleiman, membre de la société libanaise de la chirurgie plastique, confirme : « Plusieurs veulent effectivement ressembler à des stars locales. En général, nous arrivons à les convaincre que cela est impossible. » Les demandes d’opérations varient selon les âges des patientes, précise-t-il. Les plus jeunes se concentrent sur la rhinoplastie (opération du nez), la liposuccion (enlèvement des points graisseux) et les implants mammaires. Les plus âgées sur le lifting ou le redressement des paupières. Les patientes demandent également des interventions non chirurgicales, comme les injections de botox et de collagène qui défroissent les rides.
Depuis qu’il est revenu au Liban, au début des années 2000, le Dr Sleiman opère quasiment dix fois plus qu’à ses débuts. « La chirurgie esthétique est à la mode. Il est pourtant difficile de confirmer qu’une personne sur trois se fait opérer. Les opérations combinées sont de plus en plus fréquentes. Une même patiente veut refaire son nez, un lifting… » Le nombre d’opérations a certes augmenté depuis l’annonce par la First National Bank du lancement de son crédit de chirurgie bancaire. Entre 1 000 et 5 000 dollars sont proposés au public. Les candidats doivent avoir moins de 64 ans, être salariés ou travailler en libéral et toucher au moins 600 dollars par mois. Mais, fait étonnant, le Dr Sleiman n’a pas encore signé plusieurs dossiers de demandes de prêt bancaire, même si sa clientèle est issue de toutes les classes sociales.
Les femmes viennent aussi de l’étranger pour bénéficier de ses services. « J’opère aussi des femmes arabes, chypriotes, occidentales. Ce qui attire les Européens, c’est la qualité de l’hospitalisation au Liban. Et les prix sont moins chers qu’en Europe si nous tenons compte de la parité euros-dollars. » Une rhinoplastie coûte plus de 2 500 euros en Europe. Elle est proposée à environ 2 000 dollars au Liban. Les prix sont également moins élevés lorsqu’on se fait opérer par des médecins non spécialisés en chirurgie plastique.
Au Liban, le médecin a le droit d’exercer hors de son domaine de spécialisation. Les chirurgiens plastiques se sont organisés en créant la Société libanaise de chirurgie plastique, regroupant actuellement quatre-vingts membres. Mais il lui est difficile de préserver la qualité des services, en particulier chez les praticiens non spécialisés. Des erreurs médicales sont souvent commises par ces derniers. Et de plus en plus d’esthéticiennes proposent d’injecter du botox au sein de leur centre de beauté, à des prix parfois très bas. Une banalisation de la chirurgie esthétique qui énerve certaines Libanaises, mais qui séduit de plus en plus les autres.