Le général Toufik, l’invisible mais tout-puissant chef des renseignements algériens
Le tout-puissant général Toufik, limogé dimanche par le président Abdelaziz Bouteflika, a dirigé pendant 25 ans les redoutables services de renseignements de l’armée algérienne dont il avait fait « un Etat dans l’Etat ».
Pour parler de lui sans évoquer son nom, des responsables font le geste du fumeur en raison d’une prétendue affection pour le cigare. C’est aussi un amateur de football comme cela a été confirmé récemment par le ministre du Tourisme, Amar Ghoul, qui a soutenu avoir joué avec lui la semaine dernière encore.
Dimanche, pour la première fois, sa photo s’est affichée à la une d’un journal. En-Nahar le montre habillé en costume et cravate, les yeux dissimulés derrière des lunettes de soleil.
Celui que certains détracteurs appellent "rab dzayer" (le Dieu de l’Algérie) a fait toute sa carrière dans les services de renseignement avant d’en prendre complètement le contrôle en 1990.
Sous sa conduite, le Département du renseignement et de la sécurité (DRS) a mené une guerre implacable contre les groupes armés islamistes qui voulaient renverser le régime dans les années 90.
Outre les missions classiques de renseignement, le DRS assurait aussi un rôle de police politique et un contrôle de la société à travers une présence au sein des institutions, des administrations, des entreprises. Aucune nomination de ministre ou de haut fonctionnaire ne se faisait sans sa bénédiction.
Né en 1939 dans le département de Sétif (300 km au sud-est d’Alger), Mohamed Médiene a grandi dans la vieille ville d’Alger, la Casbah.
– Les maquis de l’ALN –
Très jeune, il rejoint les maquis de l’Armée de libération nationale (ALN), qui lutte pour l’indépendance du pays contre la puissance coloniale française, où il est affecté au ministère de l’Armement et des liaisons générales (Malg), ancêtre du DRS.
A l’indépendance en 1962, il effectue une formation en Russie et intègre la redoutable sécurité militaire, héritière du Malg, au sein du commandement de la deuxième région militaire (Oran), auprès du colonel Chadli Bendjedid.
Quand celui-ci est élu président de la République en 1979, il le fait venir à ses côtés comme directeur de la sécurité, une mission qu’il accomplira jusqu’à 1990, interrompue par un bref passage en Libye.
En octobre 1988, le pays est secoué par de violentes émeutes populaires qui vont conduire à la fin du parti unique et à des réformes politiques et économiques.
C’est dans l’euphorie de ce printemps démocratique que Toufik est nommé à la tête des services de renseignement qui vont prendre le nom de DRS.
Deux ans après, l’armée pousse le président Bendjedid à la démission face à la montée inexorable des islamistes qui remportent les premières élections législatives jamais organisées dans le pays.
– Disgrâce –
Face à la décision de l’armée d’annuler les résultats de ces élections, les islamistes lancent une insurrection et le pays s’enfonce dans une guerre civile qui voit le DRS se renforcer.
Le politologue Rachid Grim n’hésite pas à qualifier le DRS plus tard de véritable "Etat dans l’Etat".
Avec le président Bouteflika, Toufik a entretenu de très bonnes relations jusqu’en 2013.
En 2004, il l’appuya pour un second mandat contre l’avis de celui qui était alors le chef de l’état-major de l’armée, le général Mohamed Lamari, limogé juste après la réélection de M. Bouteflika.
Mais pendant la campagne présidentielle pour l’élection de 2014, il est soupçonné par les proches de M. Bouteflika d’un soutien tiède à un 4e mandat. Et juste avant le scrutin, il est la cible d’une très violente et inédite attaque du patron du Front de libération nationale (FLN, au pouvoir), Amar Saïdani, partisan zélé d’un nouveau quinquennat.
A partir de là, le président a entrepris un effeuillage minutieux du DRS jusqu’au départ de son chef dimanche.