Toujours "à l’initiative", comme il le dit lui-même, le chef de la diplomatie Alain Juppé a multiplié ces deux derniers mois les voyages dans les capitales de ces "nouveaux riches" afin de tenter de les infléchir. Il a été à Moscou, Pékin à deux reprises, New Delhi, et il sera jeudi à Pretoria.
Peu d’informations ont filtré sur les résultats des rencontres du ministre français, qui ont été parfois tendues, selon son entourage.
Avec l’Afrique du Sud, les contentieux sont lourds: les deux pays se sont opposés sur la Cô te d’Ivoire, sur la Libye et leurs relations ont été émaillées de vicissitudes lorsqu’ils ont voulu traiter ensemble de la crise politique à Madagascar.
Pretoria s’est rangé aux cô tés de la Chine, de la Russie, de l’Inde et du Brésil pour s’opposer au Conseil de sécurité de l’ONU à toute condamnation du régime syrien que Paris cherche à obtenir depuis des mois.
"On n’a pas réussi sur la Syrie, mais ce n’est pas la fin de l’histoire. Si la Ligue arabe devait prendre une position forte sur la Syrie, un pays comme le Brésil ou l’Inde réviserait sa position", veut-on croire dans l’entourage du président français Nicolas Sarkozy.
Si le bilan de sa politique à l’égard des émergents est loin des espérances initiales, la France, à sa décharge, n’a pas été aidée par le déclin de l’Europe sur la scène internationale, au niveau politique comme économique.
Lors des crises en Cô te d’Ivoire comme en Libye, elle est passée en force, sans entraîner dans son sillage ces émergents qu’elle convoite si ardemment.
Il y a trois ans, le discours officiel français était pourtant de "bâtir de nouvelles alliances, de nouveaux partenariats", "de construire des ponts" avec ces pays émergents afin de tenir compte des nouveaux rapports de force sur la planète et mieux peser dans les grandes enceintes internationales.
"Nous ne demandons pas à transformer les Indiens et les Brésiliens en Occidentaux qui partagent nos vues", assure-t-on de source diplomatique, tout en reconnaissant les difficultés de la France à obtenir des soutiens à Pékin, Brasilia ou New Delhi.
"Ca n’a pas empêché la France d’agir comme elle le voulait, que ce soit en Cô te d’Ivoire ou en Libye avec la bénédiction du Conseil de sécurité où se trouvent – hasard – l’Inde, le Brésil…", note-t-on de même source.
La manière utilisée pourrait toutefois laisser des traces et la fermeté croissante affichée par les émergents sur les grands dossiers – dette européenne, Syrie, Iran – n’est pas de bon augure pour l’avenir.
Au-delà de positions de principe sur la non-ingérence, le refus des émergents à embrasser les thèses françaises vient parfois de la personnalité des dirigeants.
Selon des ONG reçues à l’Elysée à la veille du sommet du G20 de Cannes, Nicolas Sarkozy leur a fait part de ses difficultés à travailler avec la Brésilienne Dilma Rousseff, alors que la relation était plus facile avec son prédécesseur, Luiz Inacio Lula da Silva.
Pour Hubert Védrine, ex-ministre socialiste des Affaires étrangères, l’opposition aux thèses françaises sur la Libye ou la Syrie, affichée par les émergents, "est typique d’un nouvel état du monde où les Occidentaux n’ont plus le monopole de la puissance".
Dans une récente tribune, il estimait que le plus grand changement géopolitique actuel était "la redistribution des cartes géopolitiques entre les Occidentaux et les émergents".