La France et la Grande Guerre: une victoire à la Pyrrhus

Août 1914: la France, attaquée, entre en guerre avec un handicap démographique et économique. A l’issue d’un engagement total et au prix d’une véritable hécatombe, elle parvient à s’imposer au premier rang des vainqueurs de ce qu’elle croit être la "der des ders", une illusion chèrement payée vingt-deux ans plus tard.

Plus résigné qu’enthousiaste, le pays entre en guerre conscient de la différence de puissance avec l’Allemagne – la France ne compte que 40 millions d’habitants, contre 65 pour le Reich.

Concentré sur le seul effort de guerre, le pays entame une mutation industrielle d’une ampleur inédite. Grâce à l’approvisionnement payant en blé et en pétrole auprès des Etats-Unis, au travail des femmes et à l’emploi d’étrangers, la France finit par dépasser la production allemande, qui souffre du blocus des Alliés.

"La France produit plus de matériel militaire en 1917 que pendant les trois années précédentes réunies", note l’historien Michel Goya, ancien colonel de l’armée française.

Sur le terrain aussi, les transformations sont nombreuses. Après avoir stoppé l’offensive ennemie sur la Marne, à une cinquantaine de km de Paris, les Français découvrent la guerre de tranchées, "un phénomène spontané provoqué par la révélation majeure du début de la guerre: la puissance meurtrière du feu moderne (mitrailleuses, canons à tir rapide…). Pour faire face, il faut s’enterrer", détaille Michel Goya.

Le conflit donne naissance à la figure du "poilu", courageux, rustique et débrouillard, lointain descendant du grognard napoléonien – et au coeur des commémorations du centenaire de la Grande Guerre. La consultation des archives militaires en ligne, l’édition de recueils de lettres et carnets du front ont ainsi connu un grand succès.

"La commémoration des grandes batailles a moins intéressé que les expositions sur le quotidien des combattants. Ceux qui ont vécu le conflit ne sont plus là, leurs descendants veulent comprendre comment ils ont pu faire cette guerre jusqu’au bout", analyse Annette Becker, professeur à l’université Paris-Nanterre.

Mais quand les Américains rendent hommage aux héros, les Français préfèrent les victimes, à l’image des populaires BD de Jacques Tardi qui décrivent la boue des tranchées, les poux et les "marmitages" (bombardements) de l’artillerie. Quitte à oublier les exploits d’Albert Roche, le soldat français le plus décoré de la Grande Guerre, neuf fois blessé, qui a fait au total plus de mille prisonniers, ou de l’aviateur René Fonck, l’As des As des Alliés, avec 75 victoires homologuées.

"Aujourd’hui, on a plutôt tendance à être pacifiste, ces héros guerriers nous gênent quelque part, on préfère parler de la souffrance des combattants ordinaires et de leurs familles", souligne Annette Becker. "On comprend maintenant qu’ils se sont battus avec l’idée de ne plus jamais avoir à faire la guerre. C’est ce qui leur a permis de tenir".

Tenir, et mieux encore. Lorsque l’armistice est signé le 11 novembre, la France, artisan principal de la victoire des Alliés, peut se targuer de disposer de la meilleure armée du monde, la plus motorisée et la plus novatrice.

Et pourtant, 22 ans plus tard, cette armée s’effondre en six semaines face à la Wehrmacht. Dans la mémoire collective, la victoire dans la Grande Guerre s’efface devant le désastre de juin 1940.

Comment en est-on arrivé là ? La victoire de 1918 a été acquise à un prix terrifiant: toute une génération d’hommes adultes a été marquée dans sa chair. Près de 900 soldats français sont morts chaque jour pendant le conflit. Sur les 8,5 millions d’hommes mobilisés, 1,5 million ont été tués, 800.000 sont mutilés, 3 millions ont été blessés…

La tragédie a touché toutes les familles de France, comme en témoignent les interminables listes de noms sur les monuments aux morts des villages. Une hécatombe qui engendre un traumatisme collectif aux conséquences désastreuses.

Décimé par ce qu’il croit être la "der des ders", converti au pacifisme, le pays taille dans les dépenses militaires. En Allemagne, la défaite a provoqué une recherche de l’innovation militaire, notamment autour du char et de l’avion, artisans de la victoire française. L’état-major français, lui, va chercher à rejouer le conflit précédent, une guerre de positions sur la ligne Maginot.

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