Jean-Paul Delevoye, vieux loup de mer à la barre des retraites

Vieux loup de mer politique, habile négociateur, le haut-commissaire à la réforme des retraites Jean-Paul Delevoye va faire son entrée au gouvernement, une promotion logique pour ce personnage clef de la Macronie qui s’emploie à déminer le terrain depuis l’automne 2017.

A 72 ans, l’ancien ministre de la Fonction publique (2002-2004) sous Jacques Chirac se retrouvera en première ligne pour défendre devant le Parlement le "système universel" de retraites voulu par Emmanuel Macron, après une deuxième phase de concertation qui sera lancée jeudi et vendredi à Matignon.

Une tâche qui échappera donc à la ministre des Solidarités Agnès Buzyn, déjà mobilisée sur de nombreux fronts (projet de loi de bioéthique, crise des urgences, budget de la Sécu…), quand Jean-Paul Delevoye a consulté partenaires sociaux, élus et citoyens pendant 18 mois sur ce sujet hautement inflammable.

"J’ai quasiment fait le tour de France", plaisantait auprès de l’AFP ce colosse d’1m93, sourcils sombres et cheveux cendrés, peu avant la publication de son rapport mi-juillet.

"Un travail remarquable" salué fin août par Emmanuel Macron, qui a pourtant remis en cause sa principale proposition, l’instauration d’un âge du taux plein à 64 ans. Un désaveu ?

"La position d’Emmanuel Macron fait partie du débat", rétorque M. Delevoye dans un entretien à la Voix du Nord publié mardi, heureux de la preuve de "confiance" que représente sa "nomination".

En juillet, le haut-commissaire s’était retrouvé conforté par le report de mesures d’économies (durée de cotisation, décote…) qui risquaient de saborder son projet. Auparavant, il avait obtenu la confirmation du maintien de l’âge légal de départ à 62 ans, remis en cause par plusieurs ministres au printemps, ce qui avait poussé cet "homme d’engagement" à mettre sa démission dans la balance.

"Formidable manoeuvrier"

Derrière son apparente bonhommie se cache "un formidable manoeuvrier", estime une source gouvernementale. "Il a cette capacité à aller chercher un arbitrage (…) à oublier ce qui ne l’arrange pas".

"Quand vous naviguez, il y a des vagues plus ou moins hautes", philosophait récemment M. Delevoye devant des journalistes curieux de ses relations avec le Premier ministre Edouard Philippe. "Je ne crains absolument pas les tempêtes mais ma capacité à adapter les voiles pour ne pas casser le bateau".

C’est que ce "gaulliste social" revendiqué peut s’appuyer sur une longue expérience politique. Maire de Bapaume (Pas-de-Calais), sa ville natale, pendant 30 ans, député, sénateur… L’ancien négociant en aliments pour bétail a également présidé l’Association des maires de France pendant 10 ans.

Sorti de sa retraite après son éviction fin 2015 de la présidence du Conseil économique, social et environnemental (Cese) pour rallier Emmanuel Macron, M. Delevoye s’est d’abord vu confier les rênes de la commission d’investiture pour les élections législatives d’En Marche !, grâce à son caractère transpartisan, illustré par son soutien à un socialiste pour lui succéder à Bapaume et qui a entraîné son exclusion de l’UMP en 2013.

Puis, à l’automne 2017, le chantier titanesque des retraites.

Entouré d’une "dream team", comme il appelle son équipe, l’affable ancien médiateur de la République est apprécié des syndicalistes, séduits, à l’image de Dominique Corona (Unsa), par "un personnage tout en rondeur, très abordable, qui respecte les gens en face de lui".

Pour Frédéric Sève (CFDT), il a réussi à "montrer qu’un chantier que l’on disait hallucinant, infaisable, était possible".

En 2003 déjà, une autre réforme des retraites, celle des fonctionnaires, avait révélé l’habileté du négociateur, capable de ramener les syndicats autour de la table après plusieurs mois de conflit.

Mais à son poste de haut-commissaire, ce coutumier des "digressions" au point d’en être "parfois un peu casse-pieds", selon l’un de ses interlocuteurs, a aussi suscité l’impatience.

"Plus" on le voit, "moins l’on en sait", raillait le patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, en avril.

Reste à voir si sa méthode résistera à l’acte II de la concertation et aux mobilisations qui s’annoncent contre la réforme. "Ca va tanguer" mais "l’important, c’est d’avoir un capitaine qui tient la route", jugeait récemment la députée LREM Corinne Vignon.

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