Goldman Sachs trahie par ses mails (Libération)
Alors que son PDG est auditionné mardi, la banque américaine fait face à la révélation d’échanges gênants.
Les mails rendus publics sont-ils compromettants ?
Samedi, la commission du Sénat a rendu public des mails remontant à fin 2007. Ils sont tous signés de pontes de Goldman Sachs, qui se gargarisent des profits engrangés par la banque à force de spéculer contre le marché immobilier. Dès juillet, le directeur financier, David Viniar, se vante des 50 millions de dollars empochés par Goldman Sachs en vingt-quatre heures, rien qu’en pariant sur la chute de l’immobilier. En novembre 2007, le PDG, Lloyd Blankfein, reconnaît : «Bien entendu, nous n’avons pas échappé à la pagaille des crédits immobiliers à risque. Nous avons perdu de l’argent, ensuite nous avons regagné plus que nous n’avons perdu grâce à des positions courtes.» Les positions courtes sont le b.a-ba de la stratégie gagnante de Goldman Sachs. Ces opérations boursières permettent à celui qui les passe de réaliser des gains en cas de baisse des titres sur lesquelles elles portent. S’ils n’amènent pas la preuve que la banque a enfreint la loi, ces mails contredisent la théorie défendue par Goldman Sachs selon laquelle elle a perdu de l’argent dans ses investissements sur les fameux subprimes ou crédits hypothécaires à risque. Pour le président de la sous-commission sénatoriale, Carl Levin, ils montrent que la banque d’affaires a «gagné beaucoup d’argent en pariant contre le marché du crédit immobilier». L’équipe du sénateur démocrate enquête depuis dix-huit mois sur les pratiques de Goldman Sachs. Avec le débat qui s’ouvre cette semaine au Sénat sur la réforme de la régulation financière, ces mails évocateurs de profit au plus fort de la crise ne font qu’enfoncer le clou.
Comment contrer ces accusations ?
Après avoir dénoncé la semaine dernière, par la voix de son PDG, Lloyd Blankfein, une «cabale» aux motivations purement politiques, la banque d’affaires doit démontrer sa bonne foi. Le porte-parole de Goldman Sachs fait remarquer que ces mails ne sont que peu d’éléments comparés aux 20 millions de pages de documents fournis par la banque aux autorités. «Il est préoccupant que la sous-commission paraisse être parvenue à une conclusion avant même d’avoir tenu une audition», déclare Lucas Van Praag. Selon lui, les déclarations de pertes et profits de Goldman Sachs pour 2007 et 2008 démontrent «de manière concluante» que la banque n’a pas «gagné une somme d’argent importante» sur le marché du crédit immobilier.
D’après un document de 11 pages que s’est procuré le Washington Post, Goldman Sachs prépare sa défense à l’appui d’autres messages échangés en interne évoquant de lourdes pertes subies sur des titres adossés aux subprimes. Le montant de 1,2 milliard de dollars (900 millions d’euros) est avancé. Une somme plus ou moins identique à celle perdue par ses investisseurs institutionnels. Si elle peut le prouver, le procès pourrait être évité et un arrangement à l’amiable arrêté.
Fabrice Tourre, le courtier français mis en cause, reste le parfait bouc émissaire. La banque a rendu publique une série de messages accablants pour le centralien de 31 ans, ancien vice-président de l’unité de produits financiers incriminés. En janvier 2007, réalisant la possible chute des investissements dont il fait la réclame auprès de ses clients, il admet : «Je ne me sens pas trop coupable, le vrai but de mon travail est de rendre les marchés financiers plus rentables… étonnant ce talent à me convaincre moi-même !» Deux mois plus tard, il cite Dan Sparks, le chef de la division des subprimes de la banque : «Selon Sparks, ce business est totalement mort et les pauvres petits emprunteurs de crédits hypothécaires ne vont pas tenir longtemps !» Enfin, en avril, Tourre confie : «J’ai réussi à vendre quelques titres Abacus à des veuves et des orphelins que j’ai croisés à l’aéroport, apparemment ces Belges adorent [les investissements complexes]» !
Est-ce le dernier round judiciaire pour la banque?
Si Goldman Sachs parvient à se sortir de ce nouveau scandale, pas sûr qu’elle en aura fini avec la justice. Voilà que se profile une accusation de délit d’initiés. D’après le Wall Street Journal, cinq dirigeants de la banque, se seraient empressés de revendre leurs actions quand ils ont eu vent, en juillet 2009, d’une enquête de la SEC, le gendarme de la Bourse américain. La vente de ces titres, entre octobre 2009 et février 2010, aurait rapporté 65,4 millions de dollars. Le 16 avril, jour où la SEC annonçait avoir déposé plainte pour fraude contre Goldman Sachs devant la justice civile, l’action a perdu 13% de sa valeur à la Bourse de New York. Si l’information s’avère exacte, la banque aura du mal à dénoncer un coup politique.