En France, « on a encore tendance à minimiser la pédophilie » (psychiatre)

La France "minimise les actes pédophiles", estime le pédopsychiatre et médecin légiste Jean-Marc Ben Kemoun, appelant à l’occasion de la sortie du film "Les Chatouilles" d’Andréa Bescond à améliorer l’accompagnement des victimes qui ont souvent "peur de l’impact d’une révélation".


Q: Connait-on réellement le nombre de victimes de pédocriminels ?

R: "En France, nous n’avons pas d’études officielles, uniquement des enquêtes de victimation faites a posteriori et par téléphone. On travaille quand même à partir d’estimations assez fiables, qui indiquent que chaque année il y a près de 4 millions d’enfants victimes de maltraitance, dont de violences sexuelles. C’est énorme.

Néanmoins, on sous-estime ce problème. C’est récent qu’on dise clairement que c’est interdit, et en appelant cela des abus sexuels on minimise encore ces actes. Abus est un terme très aseptisé, on devrait lui préférer agression.

A l’unité d’accueil des mineurs de Versailles, on voit 1.200 enfants par an toutes violences confondues, mais on sait qu’on devrait en voir au moins 10.000 car on estime que dans les pays développés près de 10% des enfants ont vécu des maltraitances. La prise de parole publique, comme celle d’Andréa Bescond avec ce film, est très importante, car elle peut être libératrice et permet de dire aux victimes qu’elles ne sont pas seules, ni anormales.


Q: Ce qui frappe dans ce film, c’est la difficulté pour la victime de révéler les faits subis. Pourquoi la libération de la parole, constatée dernièrement pour d’autres types de violences sexuelles, est-elle encore si difficile concernant les mineurs ?

R: Les enfants sont dans des situations de vulnérabilité, beaucoup ne peuvent pas encore comprendre ce qu’est une agression. Très souvent, ils nous disent "est-ce que je l’ai cherché?" ou "qu’est-ce que j’ai fait pour qu’on me fasse ça ?".

Il y a un sentiment de culpabilité mais aussi de honte, un puissant mécanisme qui réduit au silence. Beaucoup de victimes ont aussi peur de ne pas être crues, de subir des menaces. Il faut savoir que 95% des agressions se passent dans le milieu intrafamilial ou dans des cercles proches. On a souvent peur de l’impact d’une révélation sur la famille.

On ne peut pas dire que la société ferme les yeux. Mais il est certain que, comme pour les violences conjugales, on a le sentiment que la pédophilie est plutôt masculine et dans une société où c’est l’homme qui tient les rênes, il va avoir du mal à s’auto-punir. Il faut qu’on arrive à dépasser cela car une véritable égalité entre les hommes et les femmes aura des conséquences très importantes sur les enfants et la violence masculine.

Q: Qu’est-ce qui pourrait aider à parler ?

R: C’est d’abord l’éducation précoce au consentement, à l’apprentissage du corps humain. Depuis quelques années, j’ai le sentiment que les enfants parlent de plus en plus tôt et peut-être que nous les écoutons mieux. Dans les générations passées, il n’y avait pas internet, pas la télévision, et aujourd’hui les messages passent aussi par ces canaux.

La gageure, c’est de voir les victimes et les prendre en charge le plus vite possible pour qu’elles soient abimées le moins possible. Les agressions ont des répercussions sur l’amour, l’école, l’affection, les autres.

Pour cela, il faut des structures qui ne soient pas réservées qu’à la plainte ou au signalement, des lieux pour recueillir la parole de l’enfant et débuter, avant la plainte, tout le travail qui est fait actuellement après la plainte. Cela permettrait de recueillir rapidement des preuves et éviter les classements sans suite, encore trop nombreux.

Comme on apprend les gestes qui sauvent, il faudrait apprendre les gestes de premier secours psychique: écouter, être présent, et alerter, par exemple via le 119 (numéro gratuit "Allo Enfance en danger").

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