Cette situation concerne l’Algérie tout entière et toute expression autonome, souligne l’universitaire Salem Chaker, professeur émérite à l’université d’Aix-Marseille et spécialiste de linguistique berbère, estimant que “le régime a été sérieusement ébranlé par la fin chaotique du règne de Bouteflika” et qui “a pris une tournure tout à fait extrême en Kabylie, principale région berbérophone d’Algérie”.
Le tournant marquant date du printemps 2021, lorsque le pouvoir a classé comme «organisation terroriste» le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) et a arrêté des centaines de ses militants et d’opposants indépendants accusés d’appartenir à cette organisation, souligne-t-on, faisant valoir que la vague d’arrestations en Kabylie s’est soldée en novembre 2022 par une parodie de justice à l’issue de laquelle ont été prononcées, en moins de trois jours, 102 sentences, dont 54 condamnations à mort [officiellement prononcées contre les auteurs présumés du lynchage d’un jeune homme suspecté à tort de pyromanie, perpétré le 11 août 2021 en Kabylie, alors que la région était la proie d’incendies] et de nombreux autres verdicts lourds allant jusqu’à la perpétuité.
“Nous venons donc d’atteindre un degré tout à fait inédit dans la répression en Kabylie, sans doute symptomatique d’une crise profonde au sein du régime et/ou d’une volonté de liquider en Algérie toutes les oppositions politiques significatives en les criminalisant”, soutient l’auteur.
Ces pratiques n’ont en fait rien d’inédit en Kabylie. De l’intervention militaire directe contre le Front des forces socialistes de Hocine Aït Ahmed (1963-1965) à la répression sanglante de manifestations pacifiques (2001-2002 : 130 morts et des milliers de blessés), en passant par les innombrables condamnations de militants et de manifestants, et les assassinats ciblés de personnalités, on n’en finirait pas d’égrener les actes de répression violente qu’a subis la région, sans oublier l’ostracisme culturel structurel qui fut la règle pendant une trentaine d’années, inscrit officiellement dans les orientations idéologiques, les Constitutions et les lois qui définissaient le pays comme exclusivement arabe et musulman, relève-t-on.
Aux yeux de l’universitaire, le paramètre berbère est “considéré comme une menace à l’unité de la nation”, mettant en avant l’existence d’une “relation de tension ancienne et multiforme entre la Kabylie et l’Etat central” et que celle-ci apparaît comme la cible privilégiée de la répression.
“Le régime algérien, comme tous les régimes autoritaires, a structurellement besoin d’ennemis, extérieurs et intérieurs, pour se maintenir et légitimer son autoritarisme et ses pratiques répressives”, renchérit l’universitaire, craignant que le régime n’en vienne à “utiliser contre la Kabylie les méthodes répressives les plus extrêmes s’il est convaincu que cela lui permettrait de se maintenir”.
La tribune fustige aussi “une tendance lourde à l’unanimisme et au refus de toute diversité”, qui s’est traduit par “un autoritarisme marqué, une justice totalement soumise aux ordres du pouvoir exécutif, une presse étroitement contrôlée, et une omniprésence, voire une omnipotence, des services de sécurité”.