Des Français avec l’Etat islamique dans le nord de l’Afghanistan
Des Français et des Algériens, certains arrivant de Syrie, ont rejoint les rangs du groupe Etat islamique dans le nord de l’Afghanistan, où les insurgés ont établi de nouvelles bases, selon des sources concordantes interrogées par l’AFP.
"Selon nos informations, un certain nombre de ressortissants français et d’Algériens sont arrivés il y a 15 à 20 jours (mi-novembre) dans le district de Darzab", dans le sud-ouest de la province de Jowzjan, affirme le gouverneur du district, Baaz Mohammad Dawar.
Le groupe est accompagné de plusieurs femmes, selon le gouverneur, et se déplace avec un interprète venu du Tadjikistan.
"Quatre de ces étrangers, dont deux femmes, parlent français et arabe", précise-t-il. "Sept à huit combattants algériens qui ne parlent qu’arabe sont avec eux, en plus de Tchétchènes, d’Ouzbeks et de Tadjiks. Parmi les Algériens de Darzab, certains ont déjà passé du temps en Syrie et en Irak".
En treillis
Des centaines de Français, parfois d’origine nord-africaine, ont rejoint l’EI au Moyen-Orient, induisant une possible confusion sur la nationalité des nouveaux venus. «On les appelle des Arabes, mais ils n’ont pas leur passeport sur eux», reconnaît le porte-parole du ministère de la Défense, le général Dawlat Waziri.
La province de Jowzjan, frontalière de l’Ouzbékistan, est l’une des principales poches où l’EI, apparu en 2015 dans l’est de l’Afghanistan, s’est installé dans le Nord. «Je les ai vus de mes yeux. Ils sont grands, doivent avoir entre 25 et 30 ans. Ils portent des treillis militaires», raconte un sage, terrorisé – «Hajji» s’est mis à l’écart pour répondre à l’AFP. «Ils ne laissent personne s’approcher».
Les combattants de Daech (acronyme arabe de l’EI, usité en Afghanistan) ont installé leur camp à quelques centaines de mètres de son village, Bibi Mariam, et de celui de Chahar Dara. «On les voit s’entraîner. Certains disent qu’ils sont là en famille, mais je ne les ai pas vues».
«Ils ne parlent à personne, ils circulent à moto, ils vont à la frontière et reviennent» poursuit-il. «Des bergers qui s’étaient approchés pour faire paître leurs bêtes ont disparu: on n’a même pas retrouvé leurs verres à thé».
Attentats suicide
Selon Hajji, ce camp est surtout formé d’étrangers, «200 environ: un mélange d’Arabes, d’Européens, de Soudanais et de Pakistanais», qui ont commencé à arriver il y a six mois.
Le district de Darzab est «à 95% aux mains de Daech», confirme Akram, un autre villageois, tout aussi apeuré. «Beaucoup de gens ont fui, surtout ceux qui travaillent pour le gouvernement».
Selon le porte-parole du gouverneur provincial, Mohammad Raza Ghafoori, l’EI a en outre recruté une cinquantaine d’enfants du district «de force ou en exploitant la misère des familles». «Certains ont tout juste 10 ans. Ils ont un camp spécial pour eux dans le village de Sardare où ils les préparent à faire des attentats».
L’EI veut faire de Jawzjan, dont il contrôle au total une dizaine de districts, un «hub logistique pour recevoir et entraîner les combattants étrangers», affirme Caitlin Forrest, de l’Institute for the Study of War à Washington.
Un «refuge»
Pour le groupe armé, défait en Syrie et en Irak, l’Afghanistan devient un «refuge» d’où il pourra «planifier des attentats aux Etats-Unis», explique-t-elle dans un article. Hashar, un ancien chef de village du district, a vu les premiers Français mi-novembre «avec leur interprète tadjik: ils entraînent les combattants aux attentats suicide et à poser des mines», assure-t-il.
«Les gens du coin disent qu’ils (exploitent) des gisements d’uranium, de pierres précieuses. Ils ne sont pas là pour le jihad mais pour détruire et apporter la misère», ajoute-t-il.
Une source sécuritaire à Kaboul a confirmé à l’AFP l’arrivée «récente» dans ce secteur de Français, dont deux baptisés «les ingénieurs , qui semblent être venus pour organiser l’exploitation minière».
Plusieurs services européens soupçonnaient l’existence «d’une filière Daesh au Tadjikistan», relève cette source, ainsi que l’interprète accompagnant les Français semble le confirmer.
Filière tadjike
Au moins un Français a été arrêté «en juillet» et condamné à cinq ans de prison pour «entrée illégale sur le territoire» tadjik. L’homme, un plombier marseillais résidant à Cavaillon, dans le sud-est de la France, âgé d’une trentaine d’années, a reconnu qu’il voulait rejoindre l’EI en Afghanistan.
«Deux autres hommes interpellés au même moment étaient porteurs de faux passeports français», selon cette source. «L’Emirat islamique au Khorasan» – du nom médiéval de l’Afghanistan – s’est d’abord installé dans l’est du pays, dans les provinces de Nangarhar et de Kunar, limitrophes du Pakistan d’où proviennent la plupart de ses combattants, selon le ministère de la Défense.
Depuis, l’EI s’est étendu dans trois provinces du Nord – Jowzjan et Faryab surtout, et Sar-e-Pul -, constitué d’anciens talibans et d’ex-membres du Mouvement islamique d’Ouzbékistan (IMU).
Jowzjan est le fief du chef de guerre ouzbek et vice-président Abdul Rachid Dostum, affaibli depuis 2016 par des accusations de viol sur un rival et installé en Turquie depuis mai pour «raisons médicales». C’est à Jowzjan que six employés du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ont été tués dans une embuscade en février – jamais revendiquée.
Terre de jihad
Pour le porte-parole du gouverneur, «il y avait déjà eu beaucoup de rumeurs faisant état de ressortissants français combattant pour l’EI dans le district de Darzab mais nous n’avions jamais pu en obtenir la preuve».
L’Afghanistan, aux contours compliqués et aux frontières poreuses, est de longue date une terre de jihad: c’est dans son sud-est et au Pakistan même que les moudjahidines formaient leurs combattants contre les Soviétiques dans les années 80, puis qu’Al-Qaïda entraînait ses candidats au jihad global.
De passage à Kaboul le 19 novembre, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian avait souligné la menace grandissante de l’EI en Afghanistan, après ses défaites en Irak et en Syrie. (afp)