De Bagdad à Minneapolis: « nous aussi, on veut respirer »

Sur la place Tahrir à Bagdad ou sur Twitter, conseils, griefs et commentaires pleuvent. Dans un pays envahi il y a 17 ans par les Etats-Unis et théâtre à l’automne dernier d’une révolte inédite, les manifestations américaines réveillent des souvenirs.

Yassine Alaa avait rejoint les manifestations sur l’emblématique place Tahrir, dans la capitale irakienne, dès le 1er octobre. Huit mois plus tard, il est toujours là, même si les tentes des protestataires sont pour la plupart vides.

Pour lui, les centaines de milliers d’Américains qui défilent pour dénoncer le racisme et réclamer justice pour George Floyd, tué à Minneapolis par un policier agenouillé sur son cou, « sont courageux ».

« Ils ont toutes les raisons d’être en colère mais les émeutes ne sont pas la solution », assure cet Irakien de 20 ans à l’AFP qui ne peut oublier la répression qui a fait 550 morts en Irak ces derniers mois –et autant de familles toujours en attente de justice.

« Ne brûlez rien, ne faites rien de tout ça, parce que la police va vous tomber dessus et la situation va devenir incontrôlable », lance-t-il, après avoir vu dans les médias les scènes de pillages et d’émeutes qui ont émaillé le mouvement aux Etats-Unis.

 « Injustice »
Les Etats-Unis, Ali Essam n’y a jamais mis les pieds. Mais dans sa ville de Bassora, dans le sud de l’Irak, cet Irakien à la peau noire –descendant d’esclaves africains présents dans le pays depuis plus de 1.000 ans– connaît bien le racisme.

« Mais le racisme ici, c’est différent, les gens font des blagues racistes, alors qu’aux Etats-Unis, avoir la peau noire signifie que tout le monde vous regarde comme un danger », affirme à l’AFP ce metteur en scène de 34 ans.

« C’est une guerre raciale qui se joue aux Etats-Unis, alors que nous, nos problèmes sont confessionnels et politiques », explique de son côté Haider Karim, 31 ans, qui appelle régulièrement les membres de sa famille émigrés aux Etats-Unis pour discuter des derniers développements.

« Ce que nous avons en commun avec les manifestants américains, c’est l’injustice que nous subissons tous », poursuit cet Irakien qui a lui-même participé à la « révolution d’octobre » réprimée dans le sang et désormais en sommeil.

Si certains dressent des parallèles, d’autres ne voudraient qu’une chose: que des deux côtés, on oublie un peu l’Autre.

En arabe, sur Twitter, les hashtags « Nous voulons respirer » et « L’Amérique se révolte » ont rapidement inondé les écrans. Le premier se réfère aux derniers mots de George Floyd, le second est un détournement de « L’Irak se révolte » lancé peu avant le début de la « révolution d’octobre ».

Mais si Minneapolis, New York ou Los Angeles sont dans tous les esprits à Bagdad, Bassora ou ailleurs –dans un pays qui compte de très nombreux expatriés aux Etats-Unis–, l’Irak, envahi en 2003 puis occupé par l’administration de George W. Bush, est aussi un symbole au pays de l’Oncle Sam.

 « Laissez-nous tranquilles »
« Ce n’est pas Bagdad. Ce sont les Etats-Unis », ont tweeté de nombreux Américains, sous des clichés d’immeubles en feu, de pillages ou d’émeutes qui ont émaillé pendant plusieurs jours les manifestations contre les inégalités raciales dans des dizaines de villes américaines.

« Arrêtez d’associer Bagdad au chaos », rétorque un internaute irakien agacé. « Laissez-nous tranquille », s’emporte un autre, alors que d’autres pointent du doigt que la même armée déployée aujourd’hui par le président Donald Trump sur le sol américain est celle qui envahissait l’Irak et perpétrait les tortures et autres atrocités, dans la tristement célèbre prison d’Abou Ghraib par exemple.

Et comme un nouvel écho, les parachutistes de la 82e division qui ont récemment dispersé les manifestants à Washington rentraient tout juste de mission… en Irak!

Ironiques et amers, d’autres internautes notent encore qu’en 2003, à l’époque où administrations, banques, musées et autres ministères étaient pillés en masse à Bagdad, le secrétaire d’Etat américain à la Défense de l’époque, Donald Rumsfeld, justifiait le chaos.

« Les pillages sont la conséquence naturelle de la transition de la dictature à un pays libre », disait-il alors.

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