Comment la France gère ses « radicalisés » hors de prison

On en parle peu, tant les projecteurs ont été braqués sur la détention: parmi les personnes suspectées de radicalisation ou mises en cause dans un dossier terroriste, quelque 850 hommes et femmes sont actuellement suivis hors de prison en France.

En détention, l’accent a été mis sur "l’évaluation et la prise en charge" des profils terroristes ou radicalisés. En milieu ouvert, "il s’agit de les accompagner vers le désengagement d’une idéologie violente et de les réinsérer", explique à l’AFP François Toutain, chef de la Mission de lutte contre la radicalisation violente à la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP).

L’éventail est extrêmement large: on trouve parmi ces personnes "sous main de justice" quelques "revenants" de Syrie ou velléitaires du jihad mais surtout des individus poursuivis pour "apologie du terrorisme" ou "consultation de sites jihadistes" et des délinquants suspectés de radicalisation.

Des profils dits de "bas du spectre", que la justice n’a pas estimé nécessaire d’enfermer ou qui ont obtenu un aménagement de leur peine. La moitié d’entre eux a été condamnée, l’autre est en attente de jugement. Tous sont suivis par un Service de probation et d’insertion pénitentiaire (SPIP).

Sur les 170.000 personnes suivies en milieu ouvert en France, quelque 250 sont impliqués dans une affaire de terrorisme islamiste (TIS) et 600 sont des "droits communs suspectés de radicalisation" (DCSR), selon les chiffres de la DAP début avril.

Dans le même temps, en prison, on compte quelque 510 détenus TIS et 1.100 DCSR sur un total d’environ 70.000 écroués.

Après le choc des attentats de 2015, l’accent est mis sur la formation des personnels et la création de binômes de soutien éducateur/psychologue, puis de quartiers d’évaluation en prison.

"Etre souple"

Hors de prison, c’est l’assassinat en juillet 2016 d’un prêtre par un radicalisé sous bracelet électronique à Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime) qui va conduire à "renforcer le suivi", rappelle François Toutain. Un "radicalisé" sera vu deux à quatre fois plus souvent qu’un autre délinquant.

En parallèle, le renseignement pénitentiaire monte en puissance. L’idée est de "boucher les trous dans la raquette" entre la prison et l’extérieur. Le maître mot est le partage d’informations.

Pour cela, l’administration pénitentiaire va muscler les Services de probation et d’insertion (SPIP) en y créant des cadres référents pour la radicalisation, en formant ses agents, les premiers au contact des personnes sous main de justice.

"Aujourd’hui, on est dans une approche pluridisciplinaire. La décision d’une prise en charge ou d’un signalement est collective", explique Anne Averink, directrice du SPIP de Paris, qui gère une cinquantaine de ces profils, surtout des hommes, âgés de 29 à 35 ans.

"Personne n’est à l’abri d’une erreur. Il faut être souple, accepter que le suivi soit ajusté au jour le jour", insiste-t-elle. Un travail énorme pour ses 60 conseillers, qui voient passer 22.000 personnes par an, sans avoir vu leurs effectifs renforcés.

Ce qui lui lui manque encore, c’est une "évaluation médicale du degré de dangerosité", l’échange d’information se heurtant là au secret médical.

Elle voit des profils très différents: des délinquants convertis, des jeunes parfois sans domicile fixe, des auteurs "d’apologies alcooliques" qui ont crié, ivres, leur admiration pour un Mohamed Merah.

"On est face à des questions identitaires lourdes de gens qui ne savent pas se situer et qui ont développé une violence par rapport aux institutions", explique-t-elle.

Le ressentiment est souvent plus fort chez ceux qui ne sont pas allés en Syrie et idéalisent le "califat": "Ils se sont créé un statut de citoyen à travers la religion. Notre travail est de les amener à penser par eux-mêmes et qu’ils arrivent à mettre leur religion dans un parcours de vie qui ne les exclut pas de la citoyenneté".

Pas de confrontation, mais un chemin vers l’échange, en les confrontant à des chercheurs, des référents religieux ou des artistes.

Pour les profils les plus lourds ou complexes, un dispositif sur-mesure – baptisé RIVES puis PAIRS pour "Programme d’accueil individualisé et de réaffiliation sociale" – a été expérimenté en secret à l’automne 2016 à Paris. Désormais installé aussi à Marseille, avant Lille et Lyon, il offre trois niveaux de prise en charge individualisée, sur le modèle du mentorat, pouvant aller jusqu’à 20 heures par semaine.

"Au moindre incident, un rapport est adressé au juge et le renseignement alerté", insiste François Toutain. Depuis Saint-Etienne-du-Rouvray, il n’y a eu aucun passage à l’acte violent d’un profil terroriste ou radicalisé suivi hors de prison.

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