Claude Guéant, le vice-président

Il a jeté un coup d’oeil discret sur son portable et, après mille excuses, a décroché : « Ali ! Oui, bien sûr, Ali ! » C’est Ali Bongo, le nouveau président du Gabon, qui appelle. Claude Guéant s’est éloigné de quelques pas. Sous les dorures de l’Elysée, il se tient bien droit dans cet uniforme intemporel des technocrates – chemise blanche, pull bordeaux, pantalon de flanelle grise et veste de jersey marine – qui contraste tant avec le chic américain des « Sarko boys ». Une légère rougeur aux joues. Un ton affable et courtois et cette façon de dire  » Ali  » qui indique une familiarité surprenante.

Claude Guéant, le vice-président
Nicolas Sarkozy a-t-il assuré au chef d’Etat gabonais ce qu’il répète vingt fois par jour à tous ceux qui le réclament : "Si tu as un problème, un message à me faire passer, va voir Claude. Ce sera comme si tu me voyais…" ? Comme si tu me voyais…

Claude Guéant traite donc "Ali" en ami. Oh, ce n’est certes pas le même ton que celui de Nicolas Sarkozy. Le secrétaire général de l’Elysée ne possède ni la détermination tranchante ni la séduction vulgaire du chef de l’Etat. Mais lorsqu’il se rend à Kigali voir Paul Kagamé, le président du Rwanda, lorsqu’il part seul en Syrie ou en Arabie saoudite, il est reçu chaque fois avec plus d’égards que le ministre des affaires étrangères Bernard Kouchner parce que, comme il le dit avec un air faussement modeste, " en Afrique ou au Moyen-Orient, le facteur personnel joue beaucoup " et que le recevoir, c’est un peu recevoir le président français.

En France, sa place est tout aussi déroutante. Contraire psychologique de Nicolas Sarkozy et double du chef de l’Etat. Bien des chefs d’entreprise, bien des vieux fauves du pouvoir en ont fait l’étonnante expérience : après avoir décroché l’insigne faveur d’un rendez-vous avec le président, avoir monté le grand escalier du palais et salué Nicolas Sakozy, ils ont vu au bout de quelques minutes le secrétaire général arriver et entendu le chef de l’Etat s’excuser : " Cela ne vous ennuie pas de terminer l’entretien avec Claude ? " Guéant s’occupe de tout. Répond à tous. Sorte de vice-président à la française passé du statut d’homme de l’ombre à celui de numéro deux du pouvoir.

TOUS AZIMUTS

C’est auprès de lui que, le 20 mars dernier, Anne Lauvergeon, inquiète de ne pouvoir discuter de son sort avec Nicolas Sarkozy, a plaidé sa cause de patronne d’Areva.

La semaine dernière, c’est lui qui a vertement tancé Chantal Jouanno après que la secrétaire d’Etat chargée de l’écologie eut accusé le Medef d’avoir "planté" la taxe carbone. La réforme du juge d’instruction se concocte sous son étroit contrôle. Christian Blanc ne prend pas une décision sur le Grand Paris sans lui en référer.

C’est aussi lui qui supervise les grands contrats industriels de la France à l’étranger. En décembre dernier, avant que les Emirats arabes unis ne préfèrent aux Français l’offre du consortium coréen pour construire leurs quatre centrales nucléaires, il faisait encore trois réunions par semaine dans son bureau avec les patrons d’EDF et d’Areva. L’échec de la France l’a convaincu de changer tout le système : "Les Coréens étaient 140 et nous, nous n’avions qu’un seul représentant, de 35 ans, sur place !", explique-t-il avec l’assurance d’un connaisseur du commerce international de haut vol.

Lors des élections régionales, c’est aussi dans son bureau que s’est réglée la demi-douzaine de cas litigieux sur les listes UMP. Il intervient dans les médias aussi souvent qu’un ministre ou un chef de parti. François Fillon, qui s’exaspère de son omniprésence, a mis plus d’un an à obtenir qu’il n’assiste pas systématiquement à son traditionnel entretien hebdomadaire avec Nicolas Sarkozy.

Mais lorsqu’on évoque devant Claude Guéant ce pouvoir tous azimuts, il répond avec une naïveté feinte : "Seize réunions ou rendez-vous par jour, c’est sans doute trop", comme s’il s’agissait d’un simple problème d’agenda.

En vérité, son omniprésence est une première sous la Ve République. Certains de ses prédécesseurs ont été flamboyants et parfois très politiques. Edouard Balladur remplaça quasiment le président Georges Pompidou, gravement malade, pendant tout le temps que dura son agonie. Dominique de Villepin, qui se vantait parfois de " gérer le cerveau " du président, poussa Jacques Chirac à la décision politique la plus spectaculaire de son mandat : la dissolution. Mais aucun n’a assumé une telle diversité de responsabilités et une telle exposition médiatique.

"Etre secrétaire général est toujours une fonction centrale, reconnaît Hubert Védrine qui endossa ce rôle sous François Mitterrand. La nouveauté avec Guéant est qu’il apparaît publiquement. Son pouvoir découle du lien qu’on lui prête avec le président et il semble que Nicolas Sarkozy ait trouvé là cette relation féodale d’allégeance personnelle qu’il recherche."

Car Claude Guéant ne s’en cache pas : il est le gardien du dispositif et le meilleur des "sarkologues". Dans son esprit, cela suppose une adhésion complète à la personne du président et un dévouement corps et âme à sa fonction. Quinze à seize heures de travail par jour, week-end compris.

Lorsque Rose-Marie, sa femme, est tombée gravement malade, il s’est réorganisé une vie dans l’un des appartements de fonction du quai Branly, cet ensemble de logements à la disposition de la République, à deux pas de la tour Eiffel, où François Mitterrand avait logé Mazarine.

Chaque jour, pendant les quatre mois qu’a duré le fulgurant cancer de son épouse, il est venu déjeuner avec elle. Lorsque la maladie l’a emportée, presque tout le gouvernement s’est rendu aux obsèques. Le lendemain, Claude Guéant était de retour à la présidence. Mais dans le non-dit de sa vie, chacun devine, à l’Elysée, que cette tragédie a tout changé.

Sans doute cela a-t-il renforcé ce lien affectif qui l’unit à Nicolas Sarkozy sans que jamais on n’en voie la moindre démonstration, si ce n’est une certaine façon que le secrétaire général a de le protéger. Mais cette proximité avec le chef de l’Etat ne va pas sans susciter quelques jalousies.

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