Alsace-Moselle : faut-il enseigner l’islam à l’école ?
Le débat sur l’enseignement de l’islam dans le public, au même titre que les autres religions, divise les candidats aux régionales.
Dans ces trois départements (Haut-Rhin, Bas-Rhin et Moselle), le judaïsme, le catholicisme, le luthéranisme et le réformisme, cultes reconnus par le Concordat de 1802 [1], sont organisés par le droit local.
En 1871, lorsque l’Alsace-Moselle tombe dans le giron allemand, le Concordat n’est pas abrogé. Lorsque la France récupère l’Alsace-Lorraine en 1918, elle n’abolit pas le régime concordataire, malgré la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905.
En 2003, la commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République [ou commission Stasi] recommande dans son rapport [2] : « En Alsace-Moselle, [d’]inclure l’islam au titre des enseignements religieux proposés et laisser ouvert le choix de suivre ou non un enseignement religieux. »
Si cette proposition n’aboutit pas, celle d’interdire les symboles religieux à l’école deviendra une loi en 2004. À cette occasion, France 3 se rend en Alsace-Moselle pour faire le point sur le régime concordataire et aborde la question de l’intégration de l’islam.
Deux ans plus tard, le député UMP François Grosdidier dépose une proposition de loi visant à intégrer le culte musulman dans le droit concordataire d’Alsace et de Moselle [3] : « On estime à 109 000 le nombre des musulmans en Alsace-Moselle, soit davantage que les membres de l’Église réformée ou que les israélites. Est-il acceptable qu’en 2006, les musulmans, également citoyens et contribuables, soient exclus du droit applicable en Alsace-Moselle au seul motif qu’ils n’étaient pas présents sur le territoire en 1801 ? »
Ces deux tentatives étant restées lettres mortes, les conseils régionaux du culte musulman (CRCM) de Lorraine [4] et d’Alsace vont proposer, d’ici la rentrée 2011, un programme détaillé de cours sur l’islam, préparé par une commission spéciale.
Driss Ayachour, président du CRCM d’Alsace, explique qu’il faut « combler un vide » auprès de « cette génération de jeunes qui n’ont jamais vu leur pays d’origine » : « L’ignorance envenime le vivre ensemble. Nous voulons enseigner un islam de tolérance et de respect de l’autre. Sitôt que cette commission termine le programme, nous effectuerons les démarches nécessaires. »
Seule une loi peut intégrer le culte musulman dans le Concordat. Mais il est possible d’agir à l’échelon régional. Pour préparer le terrain, des « classes pilotes » avaient ainsi été envisagées par l’ex-président UMP de la région, Adrian Zeller, décédé en août 2009.
Qui pour lancer/enterrer le projet parmi les candidats aux élections régionales de 2010 ?
Les pour
Jean-Yves Causer, issu du courant Les Alternatifs [5], partenaire du Front de gauche [6] et tête de liste en Alsace, dit ne pas être « sectaire » : « Je suis non seulement favorable à l’introduction de cours d’islam à l’école mais aussi à la création d’une faculté d’État de religion musulmane. À Strasbourg, il y a une faculté d’État catholique, une faculté d’État protestante…. C’est absolument anormal qu’il n’y est pas de fac d’État musulmane. »
Yann Wehrling [7], tête de liste du MoDem en Alsace, explique n’avoir « aucun problème avec ça » :
« Il n’y a aucune raison pour que l’islam ne bénéficie pas du même droit que les trois religions concernées par le Concordat [judaïsme, catholicisme et protestantisme, ndlr] . Il faut être réaliste et correct : la communauté musulmane est importante sur le territoire alsacien. »
Les mitigés
Pour Arlette Grosskost [8], co-listière de Philippe Richert [9] pour l’Alsace et membre de la mission d’information sur la burqa, les « préalables » sont nombreux : « L’enseignement du fait religieux doit être encadré : il faut d’abord créer une chaire de l’islam dans les facultés de théologie [de Strasbourg, ndlr]. L’enseignement religieux expérimental n’est pas de la compétence de la région, contrairement, par exemple, à la participation financière dans la construction de lieux cultuels. »
Jacques Fernique, tête de liste Europe Ecologie en Alsace [10], explique que l’enseignement religieux n’est pas de toute façon « une pratique massive » : « Dans le primaire, les cours de religion sont en perte de vitesse au niveau de la fréquentation. Et si on quitte le primaire pour le collège, le nombre d’enfants concernés dégringole à la vitesse grand V. Ce n’est pas du prosélytisme. Assurer la survivance d’un droit local, c’est différent de construire du nouveau. »
Les contre
Étienne Hodara, septième candidat de la liste Lutte Ouvrière en Lorraine [11], refuse toute extension du Concordat dont LO souhaite la « suppression » : « C’est un anachronisme en Alsace-Moselle. Nous comprenons le point de vue des musulmans, mais nous sommes pour la séparation de l’Église et de l’État, et contre le financement du culte par l’État. La religion est une affaire privée et donc, il ne doit y avoir aucun cours de religion à l’école. »
Patrick Binder, tête de liste FN en Alsace [12], est favorable au statu quo de cette « exception alsacienne » : « Nous ne sommes pas vraiment en France en Alsace. Nous sommes d’abord en Alsace. Le Concordat fait partie de l’identité du territoire alsacien, qui est une terre de tradition chrétienne. L’islam, qui est présente depuis quoi ? 20 ans ? 30 ans ? n’y a pas sa place, en tout cas historiquement. Et je lance un pavé dans la mare : on devrait étendre le Concordat au territoire français pour montrer que nous défendons notre culture et nos traditions. »
Dans un communiqué publié sur le site Web Alsace d’Abord [13], Jacques Cordonnier, tête de liste de ce mouvement régionaliste, explique que les Alsaciens « ne veulent pas que l’on touche au régime concordataire » : « Les arguments de modernité et d’égalité des religions avancés par les partisans de l’extension à l’islam du statut local sont fallacieux […] Le mouvement régionaliste Alsace d’Abord demande que les Alsaciens soient démocratiquement consultés par référendum préalablement à toute décision qui pourrait dénaturer le statut concordataire auquel ils sont attachés. »
Au moment de la publication de cette article, Yann Zimmermann, tête de liste NPA en Alsace [14], et Jacques Bigot, tête de liste PS en Alsace, n’ont pu être joints par téléphone.
Source: Rue89