François Hollande confronté au déballage de sa vie privée
François Hollande a toujours pris un soin jaloux à maintenir à grande distance sa vie privée. Dans les dix dernières années, pourtant, celle-ci est systématiquement venue percuter, avec la régularité d’un métronome, sa trajectoire politique. Bien souvent à des moments particulièrement délicats, qui plus est avec fracas. C’est encore le cas avec la parution du livre surprise de Valérie Trierweiler, Merci pour ce moment (Les Arènes, 330 p., 20 euros), dont l’Elysée assure n’avoir pas eu connaissance avant mardi 2 septembre, deux jours avant sa sortie en librairie.
Sans boursouflures d’émotion, ni tirades haineuses comme les ruptures savent les produire, le récit Merci pour ce moment (éd. Les Arènes) transgresse mais il se " tient ". Valérie Trierweiler parle d’elle, bien sûr. Elle cherche à corriger l’image de" ce personnage qui a – son – nom, – son – visage, – son – double de fiction ", l’hystérique, la voleuse de mari, la rancunière. Mais en se défendant, elle chronique le début d’un quinquennat submergé par la vie privée.
On sait déjà presque tout du tweet dévastateur par lequel l’ex-première dame avait apporté son soutien au rival de Ségolène Royal, Olivier Falorni, au lendemain du premier tour des élections législatives de juin 2012. Voilà qu’on le redécouvre de l’intérieur, presque caméra à l’épaule.
François Hollande et Valérie Trierweiler sont dans les appartements privés de l’Elysée, dans la pièce même où François Mitterrand entreposait ses livres et ses affaires de golf. Elle l’a laissé tard dans la nuit ausculter avec son équipe les résultats électoraux. Elle a une obsession, toujours la même, la crainte du retour politique de l’ex-compagne du chef de l’Etat qui a annoncé son intention de briguer la présidence de l’Assemblée nationale si elle est élue députée.
Avant de se retirer, elle a demandé au président : " “Tu ne feras rien pour la soutenir ? — Non, – lui – assure-t-il. Tu peux être tranquille. Je ne ferai rien, je m’y suis engagé.” "
Le lendemain matin, sur le fil AFP, tombe l’urgent qui annonce que François Hollande apporte son soutien à Ségolène Royal. Valérie Trierweiler explose : " Il m’assure qu’il n’y est pour rien. Que c’est le secrétaire général de l’Elysée qui s’est occupé de cette affaire. Le mensonge est énorme. C’est le coup de grâce. "
Elle décide de soutenir Olivier Falorni, elle prévient le président, il tente de lui arracher son portable, renonce. Les 139 signes déclenchent une tornade politique. Ce jour-là, écrit-elle : " J’appuie sur le détonateur et j’en suis la seule responsable. Mais la bombe à retardement a été fabriquée par François Hollande et Ségolène Royal, avec leur jeu constant entre privé et public, à coups de photos de famille et de déclarations ambiguës. Tantôt ils s’affrontent, tantôt ils se servent l’un de l’autre comme marchepied (…) Ce jeu politique entre eux n’a pas de fin, c’est un labyrinthe dans lequel je me suis perdue. "
Le président est arrivé à l’Elysée avec une grenade dégoupillée à ses côtés. Valérie Trierweiler est une femme en insécurité, elle ne sent de la part de son compagnon aucune reconnaissance publique. Quand elle lui dit qu’elle veut l’accompagner à la cérémonie d’hommage organisée en mémoire de Mandela, il tente de la dissuader : " Je ne vois pas ce que tu viendrais y faire. "
Elle se sent " l’illégitime " — le mot a failli être le titre de son livre. Pendant vingt mois, raconte celle qui partageait officiellement la vie du président, elle est toujours entrée à l’Elysée par la porte Marigny, située sur le côté du palais, et jamais par la cour d’honneur. " De facto, dans l’inconscient des Français et sans doute aussi dans le mien, le couple, c’est elle – Ségolène Royal – et lui. "
Dehors, l’autorité présidentielle est atteinte. Dedans, son couple se délite et tout se mélange à nouveau : " A chaque nouveau sondage, je le vois se décomposer (…).Il a besoin d’un coupable qui explique son décrochage. Cela ne peut pas être lui, donc c’est les autres et moi. Je deviens le paratonnerre de tout ce qui lui arrive. A chaque couac de ministre, à chaque usine qui ferme, je ressens une réplique. "
En septembre 2012, écrit Valérie Trierweiler, François Hollande lui propose pourtant de l’épouser. " Nous avions envisagé un mariage juste avant Noël en tout petit comité à Tulle. Il s’est rétracté un mois avant avec des mots d’une cruauté inouïe. Julie Gayet était déjà dans sa vie mais je ne le savais pas. "
En mars 2013, nouvel affront, alors qu’enfle la rumeur d’une liaison du président. Elle lui demande : " Jure-moi sur la tête de mon fils que c’est faux et je ne t’en parle plus. " Il jure, lui dit qu’elle devient " pénible avec cette faribole. C’est l’expression qu’il emploie, “cette faribole” ". Quelques mois plus tard, Closerpublie à la " une " la photo du président en scooter au pied de l’immeuble de l’actrice.
Deuxième crise conjugale, deuxième crise politique. François Hollande a perdu cette autre promesse de sa campagne : " Moi, président de la République, je ferai en sorte que mon comportement soit, en chaque instant, exemplaire. " Rafale de somnifères, perte de connaissance, hospitalisation, exfiltration à la Lanterne, le récit de Valérie Trierweiler n’épargne rien de ces jours et ces semaines de panique à l’Elysée jusqu’à la rédaction de sa " répudiation " qui mobilise trois conseillers du chef de l’Etat. " Ceux que je connais le mieux sont aux abonnés absents. Valls et Moscovici, dont on me disait si proches, n’ont pas dû se souvenir de mon numéro de téléphone ", écrit-elle.
La compagne bafouée est aussi une ancienne journaliste politique, qui dresse du président de la République, un portrait psychologique acéré. Un homme qu’elle décrit sous constante " perfusion médiatique ". Quand elle se retourne, furieuse, vers les journalistes qui suivent chacun de leurs pas à Brégançon pour leur demander de les " laisser tranquilles ", elle entend le président leur dire, jovial : " Faites donc. "
Soixante-dix journalistes reçoivent des SMS du président, indique-t-elle. " Le moindre confrère qui enquête sur un ministre ou une affaire mineure a droit à son rendez-vous avec le président. Depuis ses premiers pas dans la carrière, il les cajole, même ceux qui le traînent dans la boue. Il ne lâche jamais l’affaire. (…)Cette frénésie absorbe François et le perd. "
Valérie Trierweiler raconte encore un président qui " tient à sa popularité comme à une drogue dure " et " se laisse influencer par ce qui est écrit, dit, commenté ". Qui " permet tout à tout le monde, ne sait pas mettre la distance nécessaire. Même notre salle de bains est devenue un jour une salle de réunion ".
C’est dans les pages les plus personnelles de son livre que Valérie Trierweiler porte l’estocade. Fille d’un invalide et d’une caissière de patinoire qui ont eu cinq enfants, elle a grandi dans une ZUP près d’Angers et elle est fière de ses origines. Quand il voulait la taquiner, François Hollande l’appelait " Cosette " et ils en plaisantaient tous les deux.
Mais un jour qu’il était venu partager le repas de Noël à Angers chez la mère de sa compagne, en présence de ses frères, sœurs, neveux et nièces, vingt-cinq personnes en tout, il se tourne vers elle et lui dit : " Elle n’est quand même pas jojo la famille Massoneau. " La phrase est une " gifle ". Elle dit avoir longtemps hésité à " raconter cette anecdote si révélatrice de ce qu’il est (…) Pas jojo la famille Massoneau ? Elle est pourtant tellement typique de ses électeurs ! " Elle enchaîne : " Il s’est présenté comme l’homme qui n’aime pas les riches. En réalité, le président n’aime pas les pauvres. Lui, l’homme de gauche, dit en privé : “les sans-dents” très fier de son trait d’humour. "
Elle a écrit ces lignes chez elle dans le plus grand secret pendant six mois, sur un ordinateur qu’elle avait pris soin de ne relier à aucune connexion. Pendant toute cette période, François Hollande lui envoyait des fleurs, multipliait les invitations à dîner et envahissait son téléphone de messages. Elle en a dressé l’inventaire minutieux. Jusqu’à vingt-sept en une journée, certains datés du jour de commémoration du D-Day quand le président de la République accueillait Barack Obama et Vladimir Poutine. Un autre, le 12 août où il lui propose de fêter avec lui l’anniversaire de ses 60 ans, alors que la rumeur lui prêtait l’intention d’officialiser ce jour-là sa liaison avec Julie Gayet. " C’est à toi de me dire oui ", lui écrit-il.
A deux reprises pendant son quinquennat, François Hollande avait affirmé que " les affaires privées se règlent en privé ". C’est sa conviction profonde mais tout lui échappe. Merci pour ce moment est une réponse en 330 pages aux " dix-huit mots glacés " par lesquels le président de la République a signifié, par un communiqué qu’il a lui-même dicté à l’AFP, son congé à sa compagne.
Ces deux personnages jouent dans le même théâtre, dévorés par le même Moloch médiatique. Elle a été l’accusée, elle prend le monde à témoin de son droit à la défense. Elle s’expose, elle l’expose. A humiliation et répudiation en mondovision, revanche publique.