Dimanche, ce vendeur de légumes dans le district conservateur de Fatih aura l’occasion de se racheter avec la tenue d’un nouveau scrutin après l’annulation controversée du premier vote. Cette fois, Inal se rendra aux urnes, "c’est certain", dit-il en empilant des poivrons.
A quelques jours de la nouvelle élection, le parti islamo-conservateur de M. Erdogan, l’AKP, bat le rappel de ses troupes, redoutant que ses électeurs lassés ou déçus ne s’abstiennent à nouveau et lui fassent perdre de précieuses voix.
Lors de l’élection du 31 mars, le candidat de l’AKP, l’ex-Premier ministre Binali Yildirim, a perdu face au champion de l’opposition Ekrem Imamoglu d’environ 13.000 voix, un écart infime dans une ville de 16 millions d’habitants. Chaque vote est donc crucial.
Si Inal n’a pas voté en mars, c’est parce qu’il en avait "un peu marre de toutes ces élections" -huit en cinq ans- et qu’il pensait la victoire de M. Yildirim acquise.
D’autres ont boudé les urnes pour marquer leur mécontentement face au marasme économique, avec notamment une inflation et un chômage élevés.
Selon le chroniqueur Abdulkadir Selvi, proche du pouvoir, plus de 400.000 partisans de l’AKP n’ont pas fait le déplacement en mars.
Pour les remobiliser, le parti a mis en place un "dispositif spécial". "Les électeurs fâchés sont appelés un par un, des entretiens individuels ont lieu", écrit M. Selvi.
Conscient de la désaffection de certains partisans, M. Erdogan a déclaré cette semaine qu’il était "possible de se fâcher contre des personnes, mais pas contre la cause".
"Toutes les ressources"
Köksal Demir, un retraité de Kasimpasa, district populaire d’Istanbul où M. Erdogan a grandi, reconnaît qu’il y a "des problèmes économiques".
Mais il ne comprend pas les partisans de l’AKP tentés de s’abstenir ou de voter pour l’opposition.
M. Yildirim "est le seul candidat capable de résoudre ces problèmes", dit-il assis sur un tabouret dans un café, un oeil sur sa partie de backgammon.
Comme la plupart des partisans de l’AKP, Köksal met en avant le pedigree de l’ancien Premier ministre et la hausse du niveau de vie en Turquie depuis l’arrivée au pouvoir du parti en 2002, égrenant les ponts, tunnels et hôpitaux construits.
L’AKP fait d’ailleurs essentiellement campagne sur ces acquis, son slogan phare étant: "Nous l’avons fait, nous le ferons encore".
Mais même si l’AKP parvient à ramener ses brebis égarées, il risque de ne pouvoir combler l’écart, d’autant plus que l’opposition s’efforce elle aussi de mobiliser ses propres abstentionnistes.
Par conséquent, l’AKP essaye "de mobiliser toutes les ressources électorales dont il croit pouvoir disposer", souligne Jean Marcou, chercheur associé à l’Institut français d’études anatoliennes, citant les Kurdes conservateurs et les jeunes.
Séduire les Kurdes
L’électorat kurde, surtout, fait l’objet d’une âpre bataille. Le principal parti prokurde HDP soutient M. Imamoglu, mais l’AKP s’efforce depuis plusieurs semaines de faire des appels du pied.
Pour la première fois depuis 2011, les autorités ont ainsi autorisé plusieurs visites aux avocats du chef historique du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), Abdullah Öcalan, emprisonné.
L’une des craintes de l’AKP reste que l’annulation du scrutin d’Istanbul remporté par l’opposition suscite l’indignation d’une partie de ses électeurs.
Toutefois, pour Emre Erdogan, professeur à l’Université Bilgi à Istanbul, "les chances pour que les électeurs de Yildirim changent de préférence lors du nouveau vote sont faibles".
"La polarisation du pays se reflète dans la manière dont le public perçoit les faits", explique-t-il. "Si les partisans d’Imamoglu trouvent la décision injuste, ceux de Yildirim estiment que le scrutin avait été volé et qu’il fallait annuler" l’élection.
C’est le cas de M. Kaya, pour qui des "choses bizarres", "des tricheries" ont été commises par l’opposition dans les urnes. C’est dimanche, dit-il, qu’"on verra le vrai résultat".